Monsieur L - Quand la santé ne fait pas de bien
Case report et quiz

Monsieur L - Quand la santé ne fait pas de bien

Case Report
Issue
2018/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2018.00594
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2018;169(05):156-157

Affiliations
Service d’Addictologie, Hôpitaux Universitaires de Genève

Published on 07.08.2018

L’aventure d’un trekking pour fêter le demi-siècle de vie et pour changer quelques mauvaises habitudes finit par un cheminement tricard.

Monsieur L est âgé de 50 ans, marié et père de deux ­garçons de 19 et 16 ans respectivement. Ancien sportif de haut niveau (aviron), il n’a plus pratiqué d’activité physique régulière depuis environ 15 ans et a pris du poids depuis, présentant actuellement un BMI de 31. Diplômé de l’école hôtelière, il a fondé il y a une ­dizaine d’années avec trois amis du même âge une agence évènementielle.
Il aurait vécu deux épisodes d’épuisement professionnel de plusieurs mois chacun au cours des dernières 5 années. A l’occasion de ces deux épisodes son médecin généraliste lui aurait proposé, après avis psychiatrique, un traitement par antidépresseurs. Monsieur L aurait cependant rapidement refusé de continuer la pharmacothérapie considérant son état comme un «simple burn-out» dû à des surcharges professionnelles.
Il s’est fait convaincre par ses trois associés de se lancer dans l’aventure d’un trekking de 20 jours à travers les Andes pour fêter le demi-siècle de vie et les 10 ans de l’entreprise. Les amis décident à cette occasion de commencer à changer quelques mauvaises habitudes. Il s’agit notamment d’arrêter de fumer et de réduire la consommation d’alcool.
Madame L soutien fortement son mari dans ce projet, puisqu’elle considère qu’il serait temps qu’il arrête de fumer et perde du poids. Elle aurait également aimé qu’il réduise sa consommation d’alcool, qui serait ­actuellement, et depuis plusieurs années, de 14–21 verres standard par semaine. Le médecin généraliste qu’il consulte tous les deux ans ne lui a par contre ­jamais fait de remarques quant à l’alcool, tout en lui ­recommandant l’arrêt du tabac et une perte de poids.
Les 4 amis décident ainsi de n’emporter aucune cigarette pour ce trekking, durant lequel ils sont coupés de la civilisation pendant deux semaines. Les derniers verres de Pisco sont bus le soir avant le départ en ­nature.
Si Monsieur L souffre, similairement à ses amis, de ­l’effort les premiers deux jours, il ne perçoit pratiquement pas d’envie de fumer ou de boire de l’alcool. Dès le troisième jour, les efforts commencent à être plaisants, et ceci malgré l’altitude inhabituelle.
A partir du 6ème jour, Monsieur L commence à se sentir abattu, écœuré, mal dans sa peau, manquant de motivation. Au cours des heures il se sent cafardeux et ­démoralisé. Cet état s’empire au cours des 4 jours ­suivants, et il ne dort plus que 2–3 heures par nuit. A plusieurs reprises il demande à ses collègues et au guide qui les accompagne, de l’abandonner dans la ­nature puisqu’il a de la peine à les suivre. Selon le guide, l’équipe aurait encore trois jours de chemin avant d’arriver dans une petite ville disposant de consultation médicale et d’une pharmacie.

Question 1

Quel est l’intervention qui peut normaliser le plus probablement l’état d’humeur de Monsieur L avant qu’il puisse être pris en charge médicalement?
A Consommation de thé fortement sucré
B Port de lunettes avec des verres fortement assombris
C Consommation d’alcool jusqu’à un léger état d’ébriété
D Reprise de la consommation de tabac
E Arrêt de l’effort physique durant au moins 48 heures et ­hydratation forcée

Commentaire

Un déclenchement de dépression par sevrage nicotinique est l’hypothèse la plus probable.
Il existe de nombreuses corrélations entre la consommation de nicotine et les troubles dépressifs. C’est ainsi que l’humeur dépressive est entre autres un des symptômes du sevrage de nicotine, symptômes qui s’estompent généralement après une semaine d’abstinence continue. Les symptômes de sevrage sont cependant souvent plus importants chez des patients avec diagnostic de dépression, et peuvent dans près de 30% de ces cas prendre la forme d’un nouvel ­épisode dépressif. Ce risque augmente par ailleurs avec le nombre d’épisodes dépressifs précédents. Une reprise de la consommation de nicotine au cours des ­premiers jours de sevrage peut dans nombre de cas, et parfois en quelques heures, faire disparaitre les symptômes dépressifs.
L’accompagnement standard d’un sevrage chez le ­patient avec trouble dépressif est une combinaison d’approches psychothérapeutiques (ciblant aussi bien la symptomatologie dépressive que la motivation pour l’arrêt de la nicotine) avec un traitement pharmaco­logique concomitant (nicotinique et antidépresseur). La survenue d’épisodes dépressifs peut être prévenue avec du bupropion et/ou des substituts nicotiniques. L’effet de prévention antidépressive semble être par­ticulièrement marqué chez les fumeurs fortement ­dépendants. Il existe par ailleurs des évidences préliminaires soutenant la prescription préventive d’antidépresseurs.
A l’encontre d’une croyance répandue parmi les médecins, les chances de désaccoutumance ne sont pas inférieures chez des patients avec dépression comparés aux fumeurs sans comorbidité dépressives. Certaines évidences suggèrent par ailleurs, qu’à long terme ­l’arrêt de nicotine influence plutôt positivement ­l’évolution des dépressions récidivantes.
Le sevrage double tabagique et d’alcool est indiqué et même recommandé et permet aux deux cravings d’être moins importants qu’en cas de sevrage simple et d’avoir plus de succès dans la réduction de la consommation tabagique et d’alcool.
Plusieurs études ont montré, que les efforts physiques réduisent les symptômes dépressifs durant le sevrage.
Bonne réponse: D
De retour en Suisse, la dépression n’est pas complè­tement résolue malgré une reprise de sa consommation de cigarettes, à raison de 20 cigarettes par jour. Il a aussi repris ses consommations d’alcool habituelles et ne fait toujours pas de sport. Son médecin traitant lui prescrit alors de la fluvoxamine en augmentant les doses jusqu’à 300 mg au cours de 3 mois. En absence d’effet antidépresseur satisfaisant, le médecin demande avis au Service de pharmacologie clinique de l’hôpital universitaire. On lui répond immédiatement: «Il est difficile que ce traitement puisse fonctionner chez votre patient …»

Question 2

Qu’est ce qui permet au pharmacologue d’arriver à cette conclusion rapide?
A Le patient fume
B Le patient est en surpoids
C Le patient ne fait plus de sport
D Le patient a 50 ans
E Le patient boit de l’alcool

Commentaire

La fumée de tabac induit le cytochrome p450 1A2, ­enzyme participant au métabolisme de la fluvoxamine. Les taux plasmatiques peuvent ainsi être réduits de 30% et plus chez les fumeurs, ­expliquant ainsi certaines non-réponses thérapeutiques
Bonne réponse: A
No financial support and no other potential conflict of interest ­relevant to this article was reported.
Prof. Daniele Zullino
Service d’Addictologie
Hôpitaux Universitaires de Genève
CH-1205 Genève
Daniele.Zullino[at]hcuge.ch
– Aubin HJ, Rollema H, Svensson TH, Winterer G. Smoking, quitting, and psychiatric disease: A review, Neuroscience and Biobehavioral Reviews 2012;36:271–84.
– Rüther T, Bobes J, De Hert M, Svensson TH, Mann K, Batra A, Gorwood P, Möller HJ. EPA Guidance on tobacco dependence and strategies for smoking cessation in people with mental illness. European Psychiatry 29 (2014) 65–82.
– Bernard P, Ninot G, Moullec G, Guillaume S, Courtet P, Quantin X. Smoking Cessation, Depression, and exercise: empirical evidence, Clinical Needs, and Mechanisms. Nicotine Tob Res 2013;15(10):1635–50.
– Glassman AH, Covey LS, Stetner F, Rivelli S. Smoking cessation and the course of major depression: a follow-up study. Lancet. 2001;357(9272):1929–32.
– Gulliver SB, Kamholz BW, Helstrom AW, Smoking cessation and alcohol abstinence: What do the data tell us? Alcohol Research & Health. 2006;29(3).
– Spigset O, Carleborg L, Hedenmalm K, Dahlqvist R. Effect of ­cigarette smoking on fluvoxamine pharmacokinetics in humans. Clin Pharmacol Ther 1995;58(4):399–403.