Le pied diabétique au cabinet du médecin interniste généraliste
Recommandations de la société suisse d’endocrinologie et de diabétologie

Le pied diabétique au cabinet du médecin interniste généraliste

Lernen
Édition
2017/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01361
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(01):14-18

Affiliations
a Unité des internistes généralistes et pédiatres, Faculté de Médecine, Genève
b Service de Diabétologie, Endocrinologie, Hypertension et Nutrition, HUG, Genève

Publié le 11.01.2017

Pourquoi se préoccuper des pieds de nos patients diabétiques? Parce que deux tiers des patients diabétiques développent une neuropathie diabétique; parce qu’un quart des patients diabétiques présenteront un ulcère cutané une fois dans leur vie et que le 20% de ces ulcérations aboutiront à une amputation [1, 2]!
Selon les statistiques hospitalières suisses de l’OFS, on peut voir que le nombre d’hospitalisations et de durée de séjours hospitaliers en lien avec le pied diabétique n’ont cessé d’augmenter entre l’an 2000 (1500 cas) et 2008 (4500 cas). De même la mortalité associée a augmenté de 9,1% en 2003 à 9,8% en 2008 [3]. Ce sont ces chiffres qui ont motivé la rédaction de nouvelles recommandations.
Les complications du pied diabétique se développent d’une part en raison d’une atteinte neuropathique responsable d’une perte de la sensibilité protectrice et, d’autre part en raison d’une atteinte d’artériopathie périphérique.
Il existe trois types d’atteinte neuropathique [4]: L’atteinte sensitive, motrice et neurovégétative.

L’atteinte sensitive

La perte des fibres sensitives va diminuer la sensibilité nociceptive, vibratoire, proprioceptive, thermique et tactile du pied. Cette perte de sensibilité nociceptive surtout engendre le risque majeur de complications puisque, une fois la perte de sensibilité protectrice établie, le patient ne ressent pas de douleur suite à une lésion ou un trauma.

L’atteinte motrice

L’atteinte des fibres motrices va créer un déséquilibre entre les fléchisseurs et extenseurs du pied ce qui va engendrer progressivement des déformations des ­orteils (orteils en griffe: fig. 1) , et la rétraction des tendons extenseurs crée une proéminence des têtes des métatarsiens, l’émergence de points d’hyperappui, en particulier sous l’avant-pied.
Figure 1: Déformations des orteils en griffe.

L’atteinte neurovégétative

L’atteinte des glandes sudoripares et les troubles vasomoteurs secondaires à la polyneuropathie diabétique engendrent une sècheresse de peau (xérose) et un excès de formation d’hyperkératose aux zones à charges exposées (en général sous les têtes métatarsiennes).

L’artériopathie périphérique

50% des patients diabétiques souffrent d’une artériopathie périphérique.
L’atteinte athérosclérotique est souvent distale et détermine le pronostic de guérison d’une ulcération. L’évaluation de l’état vasculaire du patient est essentielle. La population à risque d’ulcération est caractérisée avant tout par une atteinte neuro-ischémique alors qu’il y a une vingtaine d’années elle était surtout neuropathique. L’atteinte athérosclérotique va diminuer le potentiel de guérison d’un pied qui aura subi des microtraumatismes répétés et qui sont aggravés par la neuropathie.

Du facteur déclenchant à la prévention

L’apparition d’une ulcération va donc être conséquente à la combinaison de ces différents facteurs: en raison de l’atteinte sensitive, les microtraumatismes répétés aux zones de surcharge (frictions et frottements) vont favoriser une hyperkératose et des microhématomes sur les zones d’hyperappui (callus, fig. 2). Ces hyperkératoses font effet de «corps étranger» pouvant provoquer par des forces de cisaillement des phlyctènes puis à terme des ulcérations plantaires.
De plus, en présence d’une perte de la sensibilité protectrice associée à des déformations du pied, le facteur déclenchant d’une ulcération est la plupart du temps un traumatisme dû à un chaussage inadapté.
Figure 2: Hyperkératose formant un callus avec risque 
de mal perforant.

Ostéo-neuro-arthro-pathie ou Pied de Charcot

De même ces différents facteurs associés à un déséquilibre au niveau du Rank-ligand avec activation des ­ostéoclastes et augmentation des cytokines inflammatoires vont provoquer une lyse osseuse avec microfractures engendrant des déformations importantes des articulations du tarse et de la tarsométatarsienne se caractérisant par des luxations articulaires et des fractures osseuses amenant à un effondrement de l’anatomie osseuse du pied (fig. 3). En présence d’un pied rouge, enflé et chaud, il convient en premier lieu ­d’envisager le diagnostic de pied de Charcot, ce tableau clinique étant souvent confondu avec celui d’une thrombose veineuse profonde, d’une goutte, d’une polyarthrite ou d’une infection.
Figure 3: Ostéo-neuro-arthropathie diabétique 
(pied de Charcot).

Face à nos patients diabétiques, comment évaluer le risque d’ulcération?

Un patient présentant des pieds sains sans polyneuropathie diabétique et sans artériopathie diabétique périphérique a un risque de 2% de développer un ulcère; ce risque augmente à 14% en présence d’une artériopathie périphérique, associée à une polyneuropathie sensitive [5], et double encore à 32% en cas d’antécédent d’ulcère ou d’amputation, ou de dialyse ou d’une déformation en pied de Charcot.
Afin de déterminer le risque d’ulcération, un score de risque a été élaboré par le groupe de travail du pied ­diabétique de la société suisse d’endocrinologie et diabétologie (SSED) [6]: ainsi des nouvelles recommandations pour la prévention et la prise en charge du pied diabétique ont été établies (le calcul du score peut 
se faire en-ligne: http://sgedssed.ch/fr/informations-
pour-professionnels/test-on-ligne/).
Il convient donc d’évaluer régulièrement le risque du patient pour cibler ceux chez qui les contrôles du pied tant conseillés sont le plus indiqués et de savoir à quelle fréquence il est utile de les faire en fonction du risque.
Le tableau 1 présente la checklist pour le pied diabétique qui permet la classification des patients en classe de risque selon l’examen clinique, les comorbidités et les antécédents. On attribuera les points correspondants afin de classer le patient en risque faible à très élevé.
Tableau 1: Classification des patients en classe de risque selon l’examen clinique, 
les comorbidités et les antécédents.
Checkliste pied diabétique
Antécédent ulcère ou amputation?Oui: 10 pointsNon: 0 points
Suspicion d’artériopathie un ou deux MI?
(palpation pouls et mesure ABI)Oui: 5 pointsNon: 0 points
Perte de la sensibilité protectrice?
(diapason, monofilament, Vibratip™)Oui: 2 pointsNon: 0 points
Déformations?  
Orteils en griffe, en marteau, surcharge 
sousmétatarsienne, callus?Oui: 1 pointsNon: 0 points
Pied de Charcot?Oui: 10 pointsNon: 0 points
Insuffisance rénale, dialyse?Oui: 10 pointsNon: 0 points
Point max: 38
0–1 points: risque faible
2–4 points: risque moyen
5–9: points: risque élevé
10 points ou plus: risque très élevé

L’évaluation de l’artériopathie diabétique: l’index ABI

Afin de mieux évaluer l’artériopathie des membres ­inférieurs, il convient de rechercher les pouls des membres inférieurs (au niveau fémoral, poplité, tibial postérieur, pédieux).
L’index bras cheville (ABI) est encore un meilleur indicateur de l’atteinte de l’artériopathie périphérique. Il se mesure avec une sonde doppler (coût environ 400 CHF) et peut être pratiqué au cabinet de l’interniste généraliste. On mesure la tension artérielle humérale des deux côtés avec un brassard normal, puis on pose le brassard au niveau de la cheville et on contrôle la disparition du pouls à l’aide de la sonde doppler en relevant la pression à laquelle le pouls disparait = tension à la cheville (fig. 4). On calcule ensuite le rapport entre la tension à la cheville divisée par la tension au bras la plus haute (droite ou gauche). Le degré de sévérité d’artériopathie est inversement proportionnel à ce rapport (fig. 5).
Figure 4: Sonde doppler pour mesure de l’index bras-cheville, et mesure avec 
le brassard.
Figure 5: Index bras-cheville (ABI = ankle-brachial index) [7].

L’évaluation de la perte de sensibilité protectrice

La sensibilité protectrice se mesure:
– soit par la mesure de la pallesthésie avec le diapason Rydel-Seiffer (128 Hz) (pathologique si inférieure ou égal à 4/8)
– soit par le monofilament (il doit être appliqué sur quatre sites plantaires de chaque pied: pulpe de l’hallux et première, troisième et cinquième têtes métatarsiennes (fig. 6). On considère le test anormal, et donc le patient à risque d’ulcération, en présence de ≥1 erreur sur les 4 sites.
Figure 6: Points d’application du monofilament.
– soit finalement avec le vibratip (fig. 7): c’est un petit ustensile qui permet par simple application sur la peau et en pressant sur le centre, de délivrer une vibration qui sera ressentie par le patient ou non. On l’appliquera sur la houppe du gros orteil des deux côtés. Il délivre une vibration de 128 Hz et l’examen est considéré comme pathologique si la vibration délivrée n’est pas ressentie. Le vibratip a montré une excellente concordance de résultats avec le monofilament ou le diapason [8]. Il peut être acheté auprès du producteur à un faible prix (www.vibratip.com). Il peut être utilisé environ 300 fois et être nettoyé par désinfection. C’est un outil très pratique et très petit (env. 3 cm) qui permet une simplification de l’examen de l’interniste généraliste au cabinet.
Figure 7: Vibratip™. Reproduction avec l’aimable autorisation de University Hospitals Bristol NHS.

Prise en charge du pied diabétique 
en fonction de la classe de risque

Chez tout patient diabétique, la prévention des lésions du pied est primordiale. Pour ceci l’éducation thérapeutique du patient est indispensable pour lui enseigner le contrôle des pieds, le chaussage adéquat et le traitement des ongles sans objets tranchants, etc.
De plus, une fois que la classe du risque est déterminée, la prise en charge est bien définie (tab. 2):

En cas de risque faible 
(0–1 point dans la checkliste)

A ce stade on sait que le patient ne présente pas d’artériopathie périphérique et la sensibilité protectrice est intacte. La prise en charge peut donc consister en un contrôle des pieds et la mesure des pouls et de la sensibilité une fois par année, soit par le médecin traitant, ou peut être délégué à une infirmière spécialisée ou un podologue.

En cas de risque moyen 
(2–4 points dans la checkliste)

Le patient présente une diminution de la sensibilité protectrice à un ou aux deux pieds.
Dans ce cas, il convient de contrôler les pieds (pouls, sensibilité) comme pour le risque faible mais deux fois par an.
De plus, il convient de prescrire des soins de podologie réguliers et de vérifier les chaussures du patient afin d’objectiver s’il faut des chaussures spécialisées pour décharger certaines régions de surcharge.
En cas de déformations (orteils en griffe, ou hyperkératose, callus), il convient de faire faire des chaussures par un maître bottier orthopédiste spécialisé et de faire appel à un orthopédiste pour évaluer la nécessité d’une correction chirurgicale, afin de prévenir les ulcérations.

En cas de risque élevé 
(5–9 points dans la checkliste)

La diminution du pouls ou l’ABI pathologique font suspecter une artériopathie. Il convient donc de contrôler les pieds quatre fois par an et de demander un examen angiologique. Toutes les mesures du risque faible sont à poursuivre. Une fois par an, le patient devrait être présenté à une équipe interdisciplinaire spécialisée pour le pied diabétique.

En cas de risque très élevé 
(10 points ou plus)

L’antécédent d’ulcère ou d’amputation, l’Insuffisance rénale terminale/dialyse ou un pied de Charcot mettent le patient à très haut risque. Il convient donc de poursuivre les stratégies des classes de risque ­inférieures (contrôle 4×/an, équipe interdisciplinaire spécialisée, etc) et de faire faire des chaussures orthopédiques adaptées.

La présence d’ulcère ou de risque élevé 
à très élevé

La présence d’ulcère ou de risque élevé à très élevé doit donc impérieusement faire rechercher une artériopathie. Sachant que l’amputation est grevée d’une mortalité très élevée, il faut considérer une revascularisation dans tous les cas possibles, qui elle seule permet de 
réduire drastiquement la mortalité [9] (fig. 8).
Figure 8: Amputations et mortalité des patients diabétiques avec ou sans revascularisation. 
Faglia E, et al. J Diabetes Complications. 2010Jul–Aug;24(4):265–9.
En cas d’ulcère, tous les traitements locaux ont pour but de favoriser une ré-épithélialisation et de réduire l’inflammation locale. Le plus important néanmoins est surtout de décharger le pied en faisant fabriquer une botte plâtrée ou un matériel de décharge spécialisé. Une infection doit être recherchée et traitée par antibiotiques en fonction du spectre bactérien objectivé par un prélèvement bactériologique des tissus profonds ou d’une biopsie osseuse.
En conclusion, il faut évaluer le risque d’ulcération de tout patient diabétique en le classifiant selon ses facteurs de risque et adapter la surveillance à sa classe de risque. L’artériopathie doit être dépistée précocement et la chirurgie de revascularisation proposée le plus tôt possible afin d’éviter les complications pouvant mener à l’amputation ou le décès du patient.
Le rôle du médecin de premier recours est donc un suivi adapté du pied du patient diabétique selon sa classe de risque; il doit se concentrer très activement sur les patients à risque élevé ou très élevé en repérant les complications de la neuropathie ou de l’artériopathie et en proposant des mesures préventives efficaces.
Tableau 2: Prise en charge du pied diabétique en fonction de la classe de risque.
Risque faible: absence de macroangiopathie et /ou 
de neuropathie (sensibilité protectrice intacte) 1×/an
Examen médical des pieds/peau/ongles/chaussures
Niveau de prise en charge 1*
Risque moyen: réduction de la sensibilité protectrice 
à un ou aux 2 pieds
(mesure avec monofilament <4/4, 
diapason Rydel-Seiffer ≤4/8 ou Vibratip 
www.vibratip.com)
Au moins 2×/an comme «risque faible» plus
Soins de podologie visant à prévenir les risques
Évaluation du chaussage (besoin de décharge)
En cas de déformations: évaluation chaussures ­orthopédiques +/- chirurgie préventive
Niveau de prise en charge 1*, 
si déformations niveau 2*
Risque élevé: suspicion d’artériopathie à un ou deux 
pieds (mesure de pouls pédieux ou ABI) avec ou sans 
neuropathieAu moins 4×/an mesures comme chez «risque moyen», plus:
Consultation angiologique
Niveau de prise en charge 2*
Risque très élevé: tous critères précédents plus: 
antécédent d’ulcère, antécédent d’amputation, 
Insuffisance rénale terminale/dialyse, Pied de CharcotAu moins 4×/an mesures comme chez «risque élevé», plus:
Evaluation chaussures orthopédiques adaptées
Niveau de prise en charge 2* et minimum 1×/an niveau de prise en charge 3*
Si ulcère aigu, pied de Charcot ou nécrose ischémique/
gangrèneAdresser à un centre spécialisé niveau 3*
* Niveaux de prise en charge
1* Médecin traitant, podologue, infimier/ère conseil diabétologie
2* Idem 1) plus consultation spécialiste diabétologie, angiologie, chirurgien orthopédique ou vasculaire et bottler orthopédiste
3* Consultation d’une équipe interdisciplinaire spécialisée en pied diabétique
Johanna Sommer
Unité de médecine
de premier recours.
Faculté de médecine
CH-1205 Genève
johanna.sommer[at]
unige.ch
1 Peltier A, et al . BMJ 2014;348:1799–.
2 Bongaerts B, et al. Diabetes Care. 2013;36:1141–.
3 Pedgrift Krzywicki C, et Wasserfallen J-B. Impact médical hospitalier du pied diabétique en Suisse. Rev Med Suisse. 2012;8:1215–20.
4 Gastaldi G, Ruiz J, Borens O. «Pied de Charcot»: un diagnostic
à ne pas manquer! Rev Med Suisse. 2013;1212–20.
5 Lavery LA1, La Fontaine J, Kim PJ. Preventing the first or recurrent ulcers. Med Clin North Am. 2013;97(5):807–20.
6 http://sgedssed.ch/fileadmin/files/6_empfehlungen_
fachpersonen/63_praxis-empfehlungen/Fuss-Managements_
bei_DM2_2013.pdf
7 Papanas N, Ziegler D. New vistas in the diagnosis of diabetic polyneuropathy. Endocrine. 2014.
8 Faglia E, et al. Journal of Diabetes and complications. 2010;24:265.
9 Aiello, NMCD. 2014;24(4):355–69.