Le contexte et les raisons qui militent en faveur d’un changement

Un budget ambulatoire cantonal, pourquoi pas?

Tribüne
Édition
2018/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06309
Bull Med Suisses. 2018;99(04):113-115

Affiliations
Dr, médecin associé à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne (IUMSP) et indépendant, membre du groupe d’experts
«Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins»

Publié le 24.01.2018

Le système de santé suisse offre des prestations de qualité, mais à un prix élevé (≈ 10 000 francs/habitant en 2017). Des experts suisses et européens ont récemment émis des recommandations, dont l’instauration d’un plafond pour freiner l’augmentation des coûts [1].
La plupart des acteurs de la santé ont alors immédiatement publié un communiqué contre le budget global [2]. Pourquoi cette précipitation? Si l’on peut comprendre la crainte des fournisseurs de soins pour leurs revenus, la réticence des assureurs de santésuisse est plus étonnante. Ne se préoccupent-ils pas de cette hausse des coûts de la santé, qui pourraient passer de 77 milliards de francs en 2015 à plus de 90 milliards en 2019 [3]? Ces frais grèvent le budget de nombreuses ­familles [4] et peuvent pousser certaines personnes à renoncer aux soins [5]. Après ajustement pour le pouvoir d’achat, les dépenses de santé par habitant dépassent de 54% celles des pays qui nous entourent [6]. La FMH a publié récemment des prises de position ­dénonçant notamment un risque de rationnement des soins et d’apparition d’une médecine à deux vitesses [7–9].
Bien que la hausse des coûts de la santé s’explique en partie par de bonnes raisons – notamment le vieillis­sement de la population et les progrès médicaux – elle est également due à des tarifs surfaits (baisses non ­répercutées du prix d’acquisition de certains équipements par exemple), des prestations inutiles ou à faible valeur ajoutée [10]. Un mécanisme d’enveloppe bud­gétaire couplé au financement des prestations à l’acte permettrait de garantir la qualité des soins (réacti­vité des soignants/liberté de pratique) tout en limitant l’incitation à la multiplication des actes. Les gains d’efficience pourraient alors se faire en préservant ­l’intérêt des patients en encourageant une utilisation judicieuse des prestations et en luttant contre la surmédicalisation telle que le recommande le mouvement smarter medicine [11].

Qui fixerait le montant de l’enveloppe budgétaire et comment?

L’enveloppe budgétaire correspond au montant que la société est prête à allouer. Le rapport d’experts mentionné plus haut préconise (mesure 37) de modifier ­l’article 51 LAMal comme suit (texte mis en évidence 
= nouveau): «Le canton peut fixer, en tant qu’instrument de gestion des finances, un montant global pour le financement des hôpitaux, des établissements mé­dico-sociaux ou du secteur ambulatoire».
La Suisse est un état fédéral, avec des prérogatives ­importantes octroyées aux cantons pour gérer la santé. Les coûts de l’assurance obligatoire des soins varient sensiblement d’un canton à l’autre, avec un rapport du simple au double pour les extrêmes. On trouve également de fortes différences entre les niveaux d’impo­sition fiscale.
Le montant de l’enveloppe budgétaire serait décidé par les autorités cantonales en fonction de plusieurs critères: comparaison des coûts entre cantons, au cours du temps, renchérissement, produit intérieur brut, pouvoir d’achat, évolution démographique, apports ­attendus des progrès médicaux, satisfaction de la ­population, listes d’attente, etc.

Périmètre de l’enveloppe budgétaire

Certaines prestations ambulatoires devraient être ­exclues de l’enveloppe budgétaire, comme la chirurgie d’un jour pour ne pas pousser les chirurgiens à hospitaliser ces patients. La question serait similaire pour d’autres prestations susceptibles d’être effectuée en milieu hospitalier (radio- et chimiothérapie). Les dialyses, la physio- et l’ergothérapie, ainsi que les frais d’ambulance et de médicaments pourraient également être exclus pour éviter que les médecins n’y renoncent pour préserver leurs revenus. Les soins à domicile pourraient également être soumis au mécanisme de l’enveloppe budgétaire, mais il paraîtrait logique de les isoler des prestations médicales pour une régulation séparée.

Description du mécanisme financier

L’enveloppe budgétaire est fixée à l’avance par les autorités politiques cantonales. Le prix du point (TARMED, analyses) est fixé en divisant le montant disponible par le nombre de points facturés. S’il y a plus de points facturés que prévu, le prix du point appliqué dans le canton est revu à la baisse (tableau 1). Un prix du point un peu plus bas serait fixé provisoirement, le solde étant versé aux fournisseurs de soins après bouclement des comptes (enregistrement des dernières factures).
Tableau 1: Exemple d’application de l’enveloppe budgétaire pour l’exercice 2017.
 Francs 
(mio.)
Points
TARMED 
(mio.)Prix du point
 Année


1: Budget – prévisions96,01000,9602016
2: Montant facture ­provisoirement93,6
104
0,900
2017

3: Bouclement des comptes96,01050,9142018
Il est essentiel d’avoir à disposition des outils de surveillance permettant aux médecins de réguler leur activité. Les données de facturation seraient centralisées pour analyser régulièrement la situation. La priorité pourrait être mise sur la réduction des prestations inutiles, la surfacturation, l’instauration d’un dialogue avec les médecins les plus dispendieux (en tenant compte de la lourdeur des patients pris en charge), l’évolution des revenus par spécialité et par région. L’analyse des pratiques médicales permettrait également d’ajuster les thèmes à discuter dans les cercles de qualités et d’orienter la formation continue.
En cas de baisse du volume d’activité, une rémunération supplémentaire pourrait, par exemple, être allouée aux médecins ayant le plus contribué à la maîtrise des coûts des médicaments (prescriptions en moyenne moins chères pour une même classe thérapeutique).

Les budgets globaux permettent-ils de maîtriser les coûts de manière efficace?

Les cantons qui utilisent les enveloppes budgétaires pour financer leurs hôpitaux ou leurs EMS ont maîtrisé leurs dépenses dans ces domaines, parfois avec des augmentations mais voulues et discutées démocratiquement. Certains mettent en doute l’efficacité des budgets globaux tels qu’ils ont été introduits en Allemagne et aux Pays-Bas [2]. A cet égard, il est important de souligner les conditions requises pour que la mise en œuvre des enveloppes budgétaires soit efficace:
– changement automatique des prix du point en cas de variation du volume de prestations;
– le domaine ciblé doit être délimité avec soin, pour éviter des incitatifs pervers (voir plus haut);
– les fournisseurs de soins doivent être responsabi­lisés pour qu’ils puissent agir sur la répartition des montants alloués (forte influence sur les règles adoptées, communauté tarifaire pas trop grande pour que les médecins se connaissent, transparence des données).

Cela conduirait-il au développement de délais d’attente, à un rationnement des soins et à une médecine à deux vitesses?

L’adoption d’une enveloppe budgétaire ne conduit pas forcément à un rationnement: une augmentation raisonnable du budget est possible et un usage parcimonieux des ressources disponibles permet de financer les prestations innovantes à forte valeur ajoutée.
Le rapport d’experts [1] met en évidence que le principal problème réside dans la multiplication des actes à faible valeur ajoutée. Qui est le mieux placé pour les éviter? Le patient n’a souvent pas les connaissances suffisantes, l’assureur et l’Etat n’ont en général pas des informations suffisamment précises pour trancher. Fina­lement ce sont les médecins qui sont les mieux renseignés pour déterminer ce qui recommandé ou non et avoir un regard critique sur les pratiques médicales.
Le système de santé suisse permet actuellement une individualisation des soins et un accès universel aux prestations. Une croissance exagérée des dépenses pourrait mener à prendre des mesures drastiques de contrôle des coûts, laissant moins de liberté de choix aux patients et aux médecins. Prendre des mesures ­aujourd’hui pour éviter des excès permet de préserver la liberté de pratique de demain.

Y a-t-il un risque pour que les patients 
les plus malades soient délaissés?

Il n’y a pas de raison qu’une enveloppe budgétaire ­modifie les priorités du système de soins. Au contraire, elle permettrait de prendre des mesures correctives si des problèmes d’accès aux soins apparaissaient. Par exemple, on observe aujourd’hui un certain désintérêt des médecins pour les patients les plus lourds nécessitant par exemple un déplacement à domicile, y compris le soir ou le week-end. Ceci est préjudiciable au système de soins, avec parfois des hospitalisations qui pourraient être évitées. Des incitatifs financiers permettraient une juste rémunération des médecins qui assurent cette disponibilité, le cas échéant avec des collègues régulièrement informés de l’état de santé de leurs patients les plus malades. La liste de ces médecins pourrait être publiée pour aider les patients à faire leur choix.
De tels réglages sont délicats et devraient être discutés au sein de la corporation médicale pour que chacun s’y retrouve. Les associations de patients et de consommateurs pourraient également être invitées à s’impliquer pour proposer des améliorations.

Est-ce que cela mènerait à une étatisation de la médecine?

L’introduction d’une enveloppe budgétaire ambulatoire cantonale ne modifie en rien le fonctionnement du système de santé sauf pour les règles de fixation du prix du point. Elle permet de préserver une bonne réac­tivité aux demandes des patients avec un financement à l’acte, tout en évitant l’incitatif pervers à mul­tiplier les actes inutiles. Elle ne correspond pas à une orientation politique (gauche ou droite), sinon de soumettre la question des dépenses de santé au pouvoir démocratique.

Est-ce que les médecins vont arrêter de soigner leurs patients en cas de dépassement des dépenses?

Cette crainte, exprimée en Allemagne lors de l’introduction d’un budget global, n’a pas lieu d’être. Aucun des hôpitaux ou des EMS suisses soumis à l’enveloppe budgétaire n’a arrêté de fournir des soins en fin d’année parce qu’il risquait de se trouver en situation déficitaire. Le médecin payé à l’acte aura toujours avantage à effectuer une prestation, sinon il péjorerait son revenu. Par ailleurs, contrairement à certaines déclarations lues dans la presse, il n’est pas question d’établir des enveloppes budgétaires par médecin ou par cas, mais seulement globalement.

Conclusion

L’introduction d’une enveloppe budgétaire ambulatoire cantonale permettrait une meilleure maîtrise de la croissance des coûts tout en préservant la liberté de pratique des médecins. Les solutions basées sur une ­régulation des volumes d’activité entraîneraient une perte de liberté. Quant aux mesures fondées uniquement sur les tarifs, elles ont montré leurs limites ces dernières années.
Dr Yves Eggli
IUMSP
Route de la Corniche 10
CH-1010 Lausanne
 1 Rapport d’experts mandatés par le Conseil fédéral. Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins. Berne: OFSP, 2017.
 6 Strupler P. Les coûts de la santé augmentent plus vite en Suisse que dans les pays voisins. La Vie économique. 23.02.2017. http://dievolkswirtschaft.ch/fr/2017/02/strupler-03-2017fr/
 7 Schlup J. Comment le politique aimerait déléguer le rationnement aux médecins. BMS 2017;98:47.
 8 Schulte U. Budget global de la santé: un problème déguisé en solution. BMS 2017;98:25.
 9 Kesseli B. Les budgets globaux, une fausse bonne idée? BMS 2017;98:47.
10 Gerber M, Kraft E, Bosshard C. La surconsommation de prestations médicales: un problème de qualité. Bulletin des médecins suisses 2016;97:236–43.
11 Capaul R. Garantie d’une médecine abordable et de grande qualité Quel est le lien entre qualité et smarter medicine? Primary and Hospital Care 2017;17:3 S.