TDAH – quel traitement pour quelle causalité?

Au vu de la complexité de ce syndrome, la thérapeutique doit être ajustée aux besoins de l’enfant.

Introduction

Les maladies

«Les maladies sont-elles des êtres ou des processus? Leurs définitions sont-elles des reflets d’une réalité objective ou seulement une façon commode de maîtriser intellectuellement une réalité complexe et fluctuante? Autrement dit, est-ce qu’on ‹découvre› les entités nosologiques ou est-ce qu’on les ‹invente›? Ces questions résument un conflit qui, dès le début de la médecine scientifique occidentale, oppose les tenants de la pathologie dynamique ‹nominaliste› aux adeptes de la nosologie ontologique ‹réaliste›» [1, pp. 212–13].
Cette assertion du psychiatre et Professeur d’histoire de la médecine M. D. Grmek pourrait aussi s’appliquer aux troubles psychiatriques, car malgré les avancées scientifiques contemporaines et en raison de l’intri­cation de différents facteurs potentiellement causaux (individuels, socio-familiaux et développementaux), la question de la causalité dans les phénomènes psychiques reste ouverte à diverses interprétations et à ­diverses hypothèses psychopathologiques, avec pour corollaire un usage variable et varié dans la façon de nommer le mal-être, de le diagnostiquer.

L’étiologie

Cette question de l’étiologie en psychiatrie n’est de loin pas nouvelle. En 1915, elle est déjà discutée par Sigmund Freud à propos des névroses, dans sa 22ème leçon intitulée «Points de vue sur le développement et la régression. Etiologie»:
«(...) les névroses sont-elles des maladies exogènes ou ­endogènes, la conséquence inéluctable d’une certaine constitution ou le produit de certaines impressions de la vie dommageable (traumatiques) – et en particulier: sont-elles provoquées par la fixation de la libido (et le reste de la constitution sexuelle) ou bien par la pression de refusement1? Le dilemme ne me semble pas dans ­l’ensemble plus intelligent que cet autre que je pourrais vous soumettre: l’enfant naît-il de la procréation par le père ou de la conception du côté de la mère? Les deux conditions sont également indispensables, répondrez-vous avec raison. Dans la causation des névroses le rapport est, sinon tout à fait le même, du moins très semblable» [2, p. 359].
Plus récemment, dans son article intitulé «L’individu échappe à son génome», Ariane Giacobino2 interroge la causalité de manière indirecte, en explorant le problème de l’individualité.
«Si l’identique provient d’un même génome, ou bien d’une autre causalité possible dans le cas des jumeaux, à savoir un environnement partagé, qu’en est-il de ­l’émergence de la différence? Et si les deux paramètres (génome et environnement) étaient contrôlés et identiques, quelle marge de manœuvre cela laisserait-il à chaque individu pour devenir différent?» [3].
Partant d’un article publié en mai 2013 dans la pres­tigieuse revue «Science»3, elle conclut que «l’individualité émerge, malgré un patrimoine génétique identique et dans un environnement identique. (...) On ne peut que ­déduire de cela que le génome est un facteur qui produit des identiques qui nécessairement diffèrent: l’individualité émerge, malgré tout ce qui est codé, et l’individu ­fabrique son expérience. Quant à l’environnement, la ­démonstration est claire: plus il est diversifié, plus l’individu se développe»[3].
Et de clore son article en pointant sur les inventions singulières de chacun: «chaque sujet est à respecter comme un inventeur de lui-même». [3]
Qu’en est-il du TDAH? Est-il réductible à un trouble neurodéveloppemental comme le laissent suggérer une des hypothèses dopaminergiques ou noradrénergiques et une certaine pratique pédopsychiatrique ­biologisante? Nous y reviendrons plus en détail après cette introduction. Disons simplement que le Compendium suisse des médicaments reste pour sa part prudent. Le TDAH y est présenté comme un syndrome dont l’étiologie reste inconnue et qui nécessite une ­approche pluridisciplinaire: «L’étiologie spécifique de ce syndrome est inconnue. Un diagnostic adéquat ne peut pas être posé par un seul test diagnostique. Il exige l’emploi de ressources médicales, psychologiques, pédagogiques et sociales spéciales. L’apprentissage peut être ­entravé, mais pas obligatoirement.» [4].

Le découpage diagnostique

Si l’étiologie psychiatrique, et plus spécifiquement du TDAH, reste incertaine ou pour le moins plurifactorielle, le diagnostic psychiatrique est une tentative de regrouper sous une même dénomination un ensemble de symptômes. Qu’est-ce qui nous permet alors de ­rassembler tels ou tels symptômes au lieu de tels autres pour constituer une dénomination diagnostique?
Notre activité professionnelle est essentiellement ­clinique. Comme nous l’avons vu, aucun laboratoire, aucune radiographie pour étoffer ou confirmer pleinement nos hypothèses. Ces dernières sont dépendantes non seulement de l’histoire clinique (anamnèse) et de l’observation des phénomènes cliniques, mais aussi de l’orientation thérapeutique choisie. Notre pratique clinique tente, dans la mesure du possible, d’articuler avec une certaine cohérence dires du patient et observation clinique, afin d’arriver à problématiser ce qu’il vit et d’y travailler avec lui. Ceci nécessite une opération de sélection et cette sélection dépend au moins en partie d’un préalable à l’observation, autrement dit de l’orientation thérapeutique du clinicien et de son vécu propre.
En partant de cette hypothèse épistémologique, nous sommes amenés à constater qu’une parfaite objectivation des troubles psychiatriques, comme l’ont tentée les différents groupes de travail du DSM, ne semble pas raisonnable. Ce que confirmerait l’actuelle remise en question, aux Etats-Unis, de l’utilité du DSM et la mise en place d’une orientation plus biologique et plus éloignée de la clinique4.
Un même phénomène pourrait être observé et interprété de plusieurs manières, ce qui est confirmé par une certaine tendance – que j’ai observée – à retenir plus facilement en Suisse alémanique un diagnostic de TDAH plutôt que celui d’«Autre trouble envahissant du développement», alors qu’en Romandie la tendance est inversée.
Le but n’est toutefois pas de critiquer nos manuels ­diagnostics contemporains qui, ne l’oublions pas, ont notamment permis aux psychiatres d’être plus ­rigoureux dans leur pratique clinique et d’éviter par exemple de surdiagnostiquer les schizophrénies, mais aussi de tenter d’avoir un langage commun et d’éviter une «babélisation» diagnostique.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’avantage de manuels comme le DSM ou la CIM est d’offrir une palette de combinaisons diagnostiques. Et ceci est ­réjouissant pour le clinicien soucieux d’arriver au plus près de ce que vit son patient – et ainsi lui ­permettre de s’approprier un mal-être qu’il ne saisit pas –, mais l’est moins pour le pharmacologue dont la démarche est inverse, à savoir mener des études comparatives avec des patients ayant une certaine homo­généité diagnostique.

Petit historique du TDAH

Au chapitre VIII du «Manuel de psychiatrie de l’enfant», ­Julian de Ajuriaguerra retrace l’histoire des conceptions relatives à l’instabilité psychomotrice, ancienne dénomination du TDAH.
«D. M. Bourneville, en 1807, décrit chez des enfants ­présentant une arriération légère une instabilité carac­térisée par une mobilité intellectuelle et physique ­extrême.» [6, p. 276]
«Le polymorphisme du tableau de l’instabilité fait que certains auteurs ont nié son existence en tant que cadre nosologique. Ceci est d’autant plus vrai que, suivant les auteurs, l’accent est mis tantôt sur le côté moteur, tantôt sur l’organisation de la personnalité de l’instable.
Nous pensons que l’on peut inscrire l’instable sur une ligne qui s’étend entre deux pôles: l’un est celui de ­l’in­stabilité subchoréique de H. Wallon et l’autre celui de l’instabilité que nous avons appelée affectivo-carac­térielle.» [6, p. 279]
Le terme d’«instabilité subchoréique» est entendu comme une instabilité psychomotrice, un excès de ­besoin de mouvement ou une incapacité à les inhiber. Des ­facteurs endogènes en seraient à l’origine.
De Ajuriaguerra souligne que certains auteurs s’opposent au terme «lésions cérébrales a minima» en ­raison de l’absence de preuves évidentes d’altérations anatomiques du cerveau, mais il fait mention de M. Knobel, qui, sur la base d’examens neurologiques et psycho­logiques et de l’EEG conclut à deux types d’enfants ­hyperkinétiques: les organiques (agitation incessante, sans finalité et s’exerҫant dans différents contextes sociaux) et les psychogénétiques.
De Ajuriaguerra mentionne encore l’instabilité affectivo-caractérielle. L’agitation y serait mieux organisée et structurée, l’agressivité et l’impulsivité y seraient plus intentionnelles. Les désordres de la personnalité surviendraient à un âge précoce, avec des relations d’objet peu stables et une recherche incessante de ­satisfaction pulsionnelle.
Dans le récent article intitulé Attention deficit hyper­activity disorder in children and adolescents: Epidemiology and pathogenesis, Kevin R. Krull relève que la ­pathogenèse n’est pas définitivement établie, mais fait la part belle aux facteurs génétiques et, de manière tout à fait étonnante selon nous, ne fait état d’aucuns facteurs psycho-sociaux [7]. Il fait notamment mention d’un déséquilibre entre les systèmes noradrénergique et dopaminergique au niveau du cortex préfrontal, d’un volume cortical préfrontal amoindri et d’un amincissement du cortex cingulaire antérieur et des régions frontales supérieures des deux côtés. Ceci ­aurait un impact sur les fonctions exécutives.
Ces dernières années, François Gonon, directeur de ­recherche au CNRS, s’est intéressé aux hypothèses ­dopaminergique et noradrénergique du TDAH. Son ­travail l’a amené à critiquer les assisses scientifiques d’un tel concept. Il relève notamment que l’efficacité de la prescription de méthylphénidate ne confirme en rien le diagnostic, ni l’hypothèse pathogénique d’un manque de dopamine, cette médication pouvant aussi améliorer les capacités cognitives de sujets ne souffrant pas dudit trouble; autre argument, l’efficacité des antiparkinsoniens (action dopaminergique) serait nulle pour traiter les symptômes du TDAH [8].
De plus «en l’absence de théorie neurobiologique ­solide, l’origine biologique du TDAH est souvent jus­tifiée par sa forte héritabilité. Nous rappelons ici qu’‹héritable› ne veut pas dire ‹génétique› et que de nombreux facteurs ­environnementaux prédisposent au TDAH» [9]. Dans ce même article, François Gonon souligne l’importance et l’efficacité des interventions psychosociales et ­valorise l’expertise française dans ce type de pro­blématique.

Clinique du TDAH et diagnostic ­différentiel de l’agitation

Avant d’aller plus avant, disons quelques mots sur la complexité de la clinique de l’enfant et sur la difficulté à mettre le doigt sur une causalité précise et indis­cutable.
L’enfant est un être pulsionnel, mû en grande partie par le principe de plaisir. En se développant et avec l’instauration du surmoi, une certaine canalisation de cette énergie surviendra et permettra à l’enfant de trouver ou non un équilibre de sa pulsionnalité face aux exigences de la vie en commun à une époque donnée.
L’enfant est aussi pris dans un contexte socio-familial spécifique qui aura une incidence sur son devenir en tant que sujet mais aussi sur son développement. Il est aussi précédé par un patrimoine biologique et ­génétique. Une part lui revient toutefois en propre: comment va-t-il s’orienter et faire des choix propres à partir de ce donné-là?
La clinique de l’enfant serait a priori plus protéiforme que celle de l’adulte et malheureusement une certaine préséance de la psychiatrie adulte persiste encore ­actuellement, malgré l’importance grandissante vers une spécificité de notre discipline depuis les prémisses de la pédopsychiatrie initiée en France par Itard peu après la Révolution française. Cette primauté de la ­clinique de l’adulte s’observe encore actuellement, comme par exemple à propos de la dépression [10] et du syndrome de stress post-traumatique [11]. Même si un ­enfant présente une problématique qui semble bien compatible avec de tels diagnostics, les strictes critères diagnostiques ne sont souvent pas présents.
Cela pourrait être expliqué au moins par deux grandes raisons. L’aptitude à exprimer verbalement et avec nuance et précision un vécu émotionnel se développe au cours de la vie5. Et l’angoisse s’illustre plus facilement par des symptômes corporels chez l’enfant, ou bien de manière plus discrète. Un enfant déprimé aura par exemple de la difficulté à dire sa tristesse, ou bien il manifestera des douleurs corporelles. Un enfant ayant vécu un danger imminent, de l’ordre du traumatisme concret, ne présentera pas forcément toute la symptomatologie post-traumatique observable chez l’adulte et à partir duquel on a construit les critères de PTSD, ou bien il ne sera pas en mesure de le verbaliser en ces termes.
L’agitation, qu’elle soit psychique avec pour conséquence un déficit attentionnel, ou qu’elle soit motrice, est au centre de cette entité syndromique complexe. S’agit-il de la conséquence d’un déficit inné ou acquis, d’une défense contre l’angoisse, ou d’une combinaison des deux?
En effet, le développement des fonctions dites instrumentales (motricité, langage, cognition, perception) peut influencer le développement psycho-affectif et ­inversement. Ainsi la défaillance d’une fonction instrumentale peut par exemple abaisser l’estime de soi de l’enfant et induire une symptomatologie dépressive réactionnelle à cette défaillance du corps.
Certaines formes de TDAH ont possiblement une ­causalité purement biologique, comme le souligne Maurice Berger dans son ouvrage L’enfant instable, ou comme le suggèrent les effets iatrogènes du Valproate chez des enfants nés de mères prenant une telle médication durant leur grossesse6. Un tel déficit pourra avoir un impact sur le rapport de l’enfant à l’autre, à soi-même et à sa vie.
A l’inverse, on peut supputer qu’un état de détresse et des angoisses intenses et désorganisantes empêcheront un développement harmonieux des fonctions instrumentales, toute l’énergie de l’enfant étant absorbée par l’angoisse et ne pouvant être pleinement investie ailleurs, d’où le déficit instrumental.
Cette question n’est donc pas sans rappeler le débat entre Freud et Janet à propos de l’hystérie, Freud considérant la conversion comme une défense face à l’angoisse et non comme l’expression d’un déficit [13, p. 4]. Le discours contemporain sur le TDAH porte pour grande part sur une hypothèse déficitaire.
Envisager l’agitation comme une défense permet de dépasser une approche purement neurobiologique tout en ouvrant la question diagnostique. L’agitation pourra être considérée comme secondaire à un trouble de l’humeur, à un trouble anxieux de type traumatique ou à un un trouble portant plus spécifiquement sur le rapport à l’autre et à la réalité.
Tentons donc de décliner les différentes modalités de l’agitation et de son rapport à l’angoisse en partant d’une assertion de Freud issue d’«Inhibition, symptôme et angoisse».
«En cas de danger externe, l’être organique procède à une tentative de fuite, il retire tout d’abord l’investis­sement de la perception du dangereux; plus tard il re­connaît que le moyen le plus efficient est d’entreprendre des actions musculaires telles que la perception du ­danger devient impossible, même si on ne la refuse pas, donc de se soustraire au champ d’action du danger. C’est d’ailleurs à une telle tentative de fuite qu’équivaut le refoulement. Le moi retire l’investissement (préconscient) à la représentance pulsionnelle à refouler et l’utilise pour la déliaison-de-déplaisir (-d’angoisse).» [14, p. 9]
L’agitation semble procéder de manière similaire à ce que décrit Freud à propos de la fuite face au danger et du refoulement. Elle opère une coupure chez le sujet en empêchant le mécanisme de pensée.
Face à un contexte socio-familial précaire et emprunt de violence, de pertes, de ruptures ou d’un manque de repères symboliques et sans le soutien familial ­nécessaire – la famille étant elle-même prise dans des processus douloureux difficiles à verbaliser –, l’enfant usera de l’agitation pour tenter d’éviter et de contrer un vécu indicible et angoissant.
«Petit, quand il y avait des problèmes entre mes parents, je prenais mon vélo. (...) J’ai tout le temps quelque chose dans ma tête; en roulant je me concentre», me confiait un de mes patients atteint de TDAH. Son agitation lui permettait de couper court à l’angoisse, une angoisse ayant trait au traumatisme, à la perte et à la dépression, dont le patient a pu me faire part. De telles aptitudes introspectives contrastent avec le discours opératoire d’un certain nombre d’enfants souffrant d’agitation et dont le champ psychique est réduit à un discours factuel et anaffectif, voire au mieux, à une plainte concernant l’agitation et les difficultés attentionnelles. Il est alors frappant de constater un manque d’accrochage identificatoire, ces enfants n’exprimant pas de désir, ni de passion à même de les orienter et de les ­ancrer dans leur vie et dans leurs choix futurs. On peut se demander dans quelle mesure l’opérativité de la pensée n’est pas consécutive à une entrave dans leur développement cognitif et psychique, ou à un manque de stimulation et d’introspection, ou encore à une difficulté propre à leur milieu socio-familial à transmettre des valeurs identificatoires, un appui permettant à l’enfant de s’orienter dans sa vie et dans ses choix ­futurs.
Une interprétation pour partie différente est aussi à envisager. Dans son ouvrage «L’enfant instable» [15], ­Maurice Berger part de sa clinique riche et variée pour questionner sans a priori – pour reprendre ses mots – cette problématique. Outre certaines situations considérées par lui comme ayant une origine neurologique, il recense bon nombre d’enfants agités en raison d’une fragilité parentale, avec notamment pour conséquence un «holding défectueux» et une expérience de continuité insuffisante chez l’enfant.
Une fixation de l’agitation est aussi envisageable selon lui: «Nous ajouterons à cela une autre éventualité, celle de la mise en place d’un fonctionnement hyperkinétique au cours des deux premières années de vie, en ­réaction à des émotions liées à des circonstances ­éducatives ­inadéquates. Ce fonctionnement évoluerait ensuite de manière ‹autonome› même lorsque ces ­circonstances ­auraient disparu, comme les tics peuvent apparaître chez certains enfants dans une ­période de tension particulièrement forte de leur ­histoire et se maintenir de manière non réversible et ‹anachronique› une fois cette période passée.» [15, pp. 10–1]
Maurice Berger considère donc la possibilité d’une conséquence durable de l’agitation sur le corps de ­l’enfant et il questionne en même temps la constitution du corps de l’enfant.
Dans une optique psychanalytique, on se constitue en tant que sujet à partir des identifications et de son désir propre. Mais qu’en est-il de la constitution de son corps? «On naît avec un organisme, mais le corps, on se le construit», affirme Miquel Bassols [16]. Quelles sont ces bases qui permettent cette construction? Maurice Berger souligne l’importance pour l’enfant d’un sentiment de continuité. Le regard et les soins ­attentifs des parents donnent à la fois un repère pour que l’enfant puisse ressentir et différencier ses sensations. Dans «Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant» [17], Donald Wood Winnicott fait ­référence au «Stade du miroir comme formateur de la fonction du je» de Jacques Lacan [18]. Chez Lacan, le petit d’homme au corps encore immature se constitue en tant qu’unité à partir de son image spéculaire. Selon Winnicott, le regard de la mère est un point de repère pour l’enfant et sa perception de ­lui-même.
Dans quelle mesure ce manque de repères à un stade initial du développement ne pourrait-il pas se fixer dans le corps et n’expliquerait-il pas les différences neurodéveloppementales observées chez l’enfant ­instable que résument l’article de Kevin R. Krull?
Poursuivons notre déclinaison des hypothèses explicatives de ce trouble.
Chez d’autres enfants, l’agitation est couplée à une ­opposition et à une agressivité farouches; tous trois pouvant être l’expression de la projection du mauvais objet que l’enfant tente d’extraire de son propre corps afin de ne pas sombrer dans la mélancolie7. L’agitation ou l’inattention permet aussi de faire barrage à des ­ruminations et à idées de dévalorisation, et certains patients pourront se plaindre d’une recrudescence des ruminations suite à l’introduction de Méthylphénidate.
Les données actuelles donnent crédit à une telle articulation: l’irritabilité serait fréquente dans le TDAH, les troubles de l’humeur (dépression, dysthymie et trouble bipolaire), les troubles anxieux et les troubles externalisés (trouble oppositionnel et trouble des conduites)8.
Illustrons notre discours au moyen d’un extrait ­tiré de «Deuil et mélancolie» [21]:
«Le malade9 nous dépeint son moi comme sans valeur, incapable de quoi que ce soit et moralement condamnable; il se fait des reproches, s’injurie et s’attend à être jeté dehors et puni. (...) Seul ce sadisme vient résoudre l’énigme de la tendance au suicide qui rend la mélancolie si intéressante et si dangereuse.»
L’agitation illustre parfois une omnipotence, un excès de jouissance chez des enfants pris dans une relation privilégiée et trop proche avec l’un des deux parents. L’enfant prend valeur narcissique pour ce dernier et en jouit avec excès. On parle alors de l’enfant incarnant «le symptôme du couple parental» [22, pp. 373–4] et dont l’angoisse est liée à un excès, au «défaut de l’appui que donne le manque» [23, p. 67].
La citation suivante – issue elle aussi du ­«Séminaire X» – illustre bien le processus: «Ne savez-vous pas que ce n’est pas la nostalgie du sein maternel qui ­engendre l’angoisse, mais son ­imminence? Ce qui provoque l’angoisse, c’est tout ce qui nous annonce, nous permet d’entrevoir, qu’on va entrer dans le giron» [ibidem]. L’angoisse ne semble ici plus ­articulée à un manque mais à un défaut de manque.
Relevons aussi que l’agitation et l’incapacité de se concentrer peuvent être articulées à des angoisses ­paranoïdes.

Thérapeutique

En considérant l’agitation comme une défense, on offre la possibilité à l’enfant de s’approprier un symptôme dont la dénomination TDAH semble plus proche de la neurologie que de la psychiatrie. On lui permet de mieux cerner et d’historiciser ce qui fait obstacle dans sa vie. Le travail par la parole permet non seulement une décharge émotionnelle, mais aussi de mettre à ­distance et d’analyser son propre manque à être.
En termes freudiens, cela équivaut à nommer un affect et à l’articuler à une représentation; autrement dit, ­attacher à une représentation une énergie jusqu’alors non liée.
Comme nous l’avons vu, l’agitation peut être consi­dérée comme une défense face à l’angoisse. Il s’agira d’accompagner l’enfant pris dans un vécu traumatique, ou bien de l’aider à trouver un investissement ­libidinal dans le cas des problématiques mélancoliques ou encore à apaiser des angoisses persécutoires.
Face à des enfants pris dans une omnipotence et trop idéalisés par l’un des deux parents, un des mouvements thérapeutiques sera de dégager l’enfant des ­projections parentales, afin de réduire cet excès et de permettre que soient abordées les questions en lien avec le refus de la castration par le sujet.
Dans les situations de perte de repères identificatoires, il s’agira plutôt d’offrir un appui symbolique à l’enfant afin de permettre qu’émane un désir, lui permettant ainsi de se projeter et de s’ancrer dans son existence.
Vu l’impact potentiel de l’agitation sur les appren­tissages et le bon développement de l’enfant et vu la possibilité d’une causalité primaire du trouble instrumental (avec symptomatologie émotionnelle réactionnelle), il importe d’avoir une approche globale et de ne pas négliger les besoins relatifs aux ­fonctions dites instrumentales (motricité, langage et organisation).
Et suivant l’intensité de l’agitation et/ou de l’angoisse, un travail par la parole sera rendu ineffectif, néces­sitant alors une approche plus corporelle (psycho­motricité, ergothérapie, par exemple) et/ou l’introduction d’une médication pour alléger de manière ciblée l’excès de symptômes. La thérapie corporelle visera non seulement un éprouvé différencié de son corps propre, mais aussi à mieux contenir l’agitation et ­commencer un travail de symbolisation et de nomi­nation.
Lorsque le milieu familial manquera de repères symboliques et/ou éducatifs, ou face à des parents impuissants et ne comprenant pas le symptôme de l’enfant, un travail de guidance sera particulièrement utile et complémentaire aux autres thérapies.

Conclusion

Le but visé par cet article a été de donner une image la plus différenciée possible d’un trouble ayant une connotation neurologique/neurodéveloppementale et qui, selon nous, revêt un côté fourre-tout diagnostique.
Bien que l’étiologie du TDAH comporte certains mystères, différents facteurs peuvent selon nous être mis en avant en plus de facteur constitutionnels/bio­logiques potentiels.
Ainsi un contexte familial précaire, que ce soit au ­niveau psychique (parents fragiles ou ayant vécu des traumatismes) ou social (parents absents et devant subvenir aux besoins financiers de la famille) peut par exemple induire une discontinuité des soins ­apportés à l’enfant, un état de détresse de ce dernier avec comme corolaire possible une altération de son développement cognitif et affectif. Cette précarité peut aussi être à l’origine de carences éducatives avec pour conséquen­ces une difficulté de l’enfant à tolérer la frustration et à entrer plus tard dans les apprentissages scolaires.
Une place trop prégnante et non castrée de l’enfant dans la structure familiale est aussi une raison potentielle de l’agitation de l’enfant (enfant symptôme du couple parental).
L’agitation peut aussi être le signe d’une dépression de l’enfant ou d’angoisses paranoïdes.
Il y a donc plusieurs niveaux d’interprétation de ce syndrome: un niveau phénoménologique (tableau ­clinique global avec toutes les nuances interindividuelles), un niveau étiopathogénique (défense contre un état de détresse, un traumatisme, défense contre des angoisses dépressives ou paranoïdes, symptôme du couple parental, holding défectueux) et un niveau étiologique (état de détresse, traumatisme, carences ­affectives et/ou éducatives, génétique, imprégnation au Valproate durant la grossesse).
L’enfant est, selon nous, à prendre dans sa globalité, dans son interaction psyché-soma, une interaction à propos de laquelle François Ansermet écrit ceci: «L’enfant apparaît dans une certaine mesure comme un être par essence psychosomatique, exprimant la plupart de ses conflits simultanément dans le domaine psychique et somatique. Parfois même chez l’enfant, l’expression psychique se réalise exclusivement dans l’aire somatique. La psychosomatique de l’enfant inclut ainsi une défi­nition très large, comprenant l’ensemble des troubles des différentes fonctions vitales, au-delà des maladies psychosomatiques au sens strict. L’enfant semble donc imposer à la clinique un point de vue plus uniciste que ­celui qu’elle pratique habituellement» [23, pp. 77–8].
L’enfant est aussi pris dans un système familial par­ticulier et dans un certain contexte socio-culturel. Ce dernier aspect n’a pu être discuté et pourrait faire ­l’objet d’une publication à part entière. Disons simplement que l’hyperactivité et les impératifs d’efficacité promus par nos sociétés contemporaines doivent, ­selon nous, certainement avoir un impact, aussi ­minime soit-il, sur ce type de syndrome, que ce soit plus prosaïquement par l’usage excessif des appareils électroniques (par l’enfant lui-même ou par des ­parents ayant une addiction à ce type d’objets) et de leur incidence sur des enfants en bas âge – ce dont font état des auteurs comme François Gonon ou ­Maurice Berger – ou simplement de par l’effet anxiogène qu’engendrent de tels impératifs.
Au vu de la complexité de ce syndrome, la thérapeutique devrait, selon nous, être ajustée au plus près des besoins de l’enfant. Divers traitements pourraient être alors combinés en fonction de la clinique de ­l’enfant, allant d’une thérapie individuelle, à un ­trai­tement psychomoteur, en passant par la guidance ­parentale ou par la prescription de psychotropes.
No financial support and no other potential conflict of interest ­relevant to this article was reported.
Correspondence:
Marc-Antoine Antille, MD
Private practice
Rue de Bourg 30
CH-1003 Lausanne
Antillema[at]gmail.com
 1 Grmek M. D. Histoire de la pensée médicale en Occident. Volume 1, Paris: Seuil; 1995.
 2 Freud S. Leçons d’introduction à la psychanalyse. Paris: PUF, 2000 (14ème tome).
 3 Giacobino A. L’individu échappe à son génome. Lacan quotidien [Internet] juin 2013 (cité 17.4.2018); 331: [env. 10 p.]. Disponible sur: https://www.lacanquotidien.fr/blog/2013/06/lacan-quotidien-n-331-la-main-a-loreille-communiques-sur-le-plan-autisme-projection-a-paris/.
 4 www.compendium.ch [Internet]. Bern: HCI Solutions; c2017
[cité 17.4.2018]. Disponible sur: http://compendium.ch/mpro/mnr/1338/html/fr.
 5 Troadec J-C. Le DSM se meurt (I). Lacan quotidien [Internet] juin 2017 (cité 17.4.2018); 736, : [env. 3 p.]. Disponible sur: https://www.lacanquotidien.fr/blog/2017/06/lacan-quotidien-n-726/.
 6 De Ajuriaguerre J. Manuel de psychiatrie de l’enfant. Paris: Ed. ­Masson; 1970.
 7 Krull KR. Attention deficit hyperactivity disorder in children and adolescents: Epidemiology and pathogenesis, UpToDate [Internet]septembre 2017 (cité 17.4.2018). Disponible sur: https://www.uptodate.com/contents/attention-deficit-hyperactivity-­disorder-in-children-and-adolescents-epidemiology-and-pathogenesis.
 8 Gonon F. The dopaminergic hypothesis of attention-deficit/hyper­activity disorder needs re-examining. Trends in Neurosciences. 2009;32(1):2–8.
 9 Gonon F, Guile J-M Cohen D. Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité: données récentes des neurosciences et de ­l’expérience nord-américaine. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. 2010;58:273–81.
10 Arbisio C. Le diagnostic clinique de la dépression chez l’enfant en période de latence. Eres/Psychologie clinique et projective. 2003;1(9): 29–58.
11 Dewulf AC, Van Broeck N, Philippot P. L’état de stress post-­traumatique chez l’enfant: questions autour de la description ­diagnostique, Bulletin de psychologie. 2006; 1(481):119–32.
12 Kaiser D. L’arthrite chez l’enfant. Forum Médical Suisse. 2017;17(17):378–86.
13 Freud S. Les névropsychoses-de-défense. Œuvres complètes. 3ème tome. Paris: PUF; 2005.
14 Freud S. Inhibition, symptôme et angoisse. Paris: Quadrige/PUF; 2002.
15 Berger M. L’enfant instable. 3ème édition. Paris: Dunod; 2013.
16 Bassols M. Le corps et ses jouissances. [Conférence du 23 mai 2003 par Le Pont Freudien]. (Cité 17.4.2018) Disponible sur: http://pontfreudien.org/content/miquel-bassols-le-corps-et-ses-jouissances.
17 Winnicott D W. Jeu et réalité. Paris: Folio Gallimard; 2006.
18 Lacan J. Ecrits. Paris: Seuil; 1966.
19 Lebovici S, Diatkine R, Soule M. Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris: PUF, 1985.
20 Bouvard M. Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, de l’enfant à l’adulte. Paris: Dunod; 2016.
21 Freud S. Deuil et mélancolie. 13ème tome. Paris: PUF; 2005.
22 Lacan J. Note sur l’enfant. In: Autres Ecrits. Paris: Seuil; 2001.
23 Lacan J. Le Séminaire. Livre X, l’angoisse. Paris: Seuil; 2004.
24 Ansermet F. Le phénomène psychosomatique chez l’enfant. ­Actualités psychosomatiques. 2009;12:77–92.