Engager dans les soins les personnes ayant des troubles psychiques et des problèmes d’emploi
Programme RESSORT (RESeau de Soutien et d’Orientation vers le Travail)

Engager dans les soins les personnes ayant des troubles psychiques et des problèmes d’emploi

Original Article
Issue
2017/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2017.00493
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2017;168(04):107-112

Affiliations
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Département de Psychiatrie, Lausanne

Published on 17.05.2017

Inroduction

Environ 20% de la population d’âge actif dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de ­développement économiques) souffre de troubles mentaux ­cliniques, c’est-à-dire d’une maladie mentale qui atteint le seuil d’identification clinique permettant de poser un diagnostic d’après les systèmes de classi­fication en psychiatrie [1]. Pourtant, l’utilisation des services de santé mentale reste partielle: 80% des ­personnes souffrant de troubles mentaux modérés et 50% de celles atteintes de troubles mentaux graves ne sollicitent aucun traitement [1].
La principale barrière d’accès aux soins semble être l’absence de perception du besoin de traitement. En ­effet, plus de la moitié des non utilisateurs des services de santé présentant un trouble mental estiment ne pas avoir besoin de traitement [2]. Quant aux personnes qui perçoivent ce besoin mais ne recherchent pas d’aide, elles rapportent plusieurs barrières qui peuvent être subdivisées en trois catégories [3]: l’accessibilité (coûts des services, manque de transport, garde des ­enfants), la disponibilité (manque de professionnels dans la région, temps d’attente élevés), et enfin l’acceptabilité («ne pas avoir le temps» de chercher de l’aide, préférer gérer seul le problème, avoir peur de chercher de l’aide, les barrières linguistiques, une sous-estimation de l’efficacité des traitements). Plusieurs études montrent des inter-relations entre la perception du ­besoin de traitement, les barrières d’accès aux soins et certaines variables sociodémographiques, socio-­économiques, et cliniques [3–8].
La perception du besoin d’aide semble être accrue chez les patients atteints de troubles sévères [5], avec des ­comorbidités associées [8], et chez les femmes d’âge moyen [5, 8]. Les personnes titulaires d’un diplôme d’études secondaires ou à revenu élevé déclarent avoir moins de barrières d’acceptabilité [4], tandis que les personnes provenant de milieux défavorisés font plus souvent face à des problèmes d’accessibilité [9]. Le fait de ne pas chercher de l’aide ou bien de repousser ce moment est le plus souvent lié au manque de connaissance concernant la maladie mentale ou les traitements disponibles [10], d’autres raisons étant un jeune âge d’apparition de la maladie, l’âge avancé, le sexe masculin et un faible niveau d’éducation [10]. Finalement, le délai s’écoulant entre la première manifes­tation du trouble mental et la demande d’aide est ­beaucoup plus long chez les personnes atteintes d’un trouble anxieux par rapport à celles atteintes d’un trouble de l’humeur.
Une mauvaise santé mentale se répercute aussi sur l’économie; selon le rapport de l’OCDE [1], les coûts ­totaux engendrés par les problèmes de santé mentale atteignent 3 à 4% du PIB de l’Union européenne (3,2% pour la Suisse en 2010). Les coûts indirects, sous la forme de pertes d’emploi et d’une diminution des ­performances et de la productivité au travail, sont plus élevés que les coûts directs de la santé [11].
L’emploi est un déterminant majeur de la santé mentale et un puissant moyen d’intégration sociale [12]. Pour les personnes atteintes d’un trouble mental, le fait d’avoir un emploi constitue un pas important dans le processus de rétablissement. Bien que la majorité d’entre elles souhaitent retravailler (70%), leur taux d’occupation reste bas [13].
En Suisse, le taux de chômage des personnes ayant des troubles psychiques se situe aux alentours de 30%, soit plus de trois fois le taux observé dans la population ­générale [11]. En outre, le pourcentage des rentes d’invalidité allouées en raison d’un problème de santé mentale continue d’augmenter, les troubles mentaux représentant désormais la première cause de demande de rente (37% en 2012) [1, 11].
RESSORT (RESeau de Soutien et d’Orientation vers le Travail) [14] est une équipe mobile spécialisée qui vise à rapprocher le monde du travail et le monde des soins psychiques. Pour ce faire, ce programme comprend deux missions: (1) Le soutien individuel à l’emploi de type IPS [15], qui vise à accompagner les ­personnes qui souffrent de difficultés psychiatriques à intégrer ou réintégrer le 1er marché de l’emploi et (2) L’évaluation et l’engagement dans les soins (EES), qui vise une ­évaluation psychiatrique et un engagement dans les soins de personnes présentant des dif­ficultés d’in­sertion professionnelle en lien avec des problèmes de santé mentale, mais difficiles à engager dans des soins appropriés. La présente étude s’intéresse exclusivement à cette deuxième population, qui se compose de personnes présentant des situations ­socioprofessionnelles précaires, souvent au bénéfice de l’aide sociale.
L’intervention d’évaluation et d’engagement dans les soins (EES) est une forme de case management clinique, la méthode la plus efficace pour engager les ­personnes dans les soins [16]. Celle-ci est utilisée ­surtout lors de troubles psychiatriques sévères, sous la forme de suivi de longue durée comme l’Assertive Community Treatment (ACT) [17], pour des interventions de durée limitée dans des phases clés du réta­blissement comme le Critical Time Intervention (CTI) [18], ou des interventions brèves comme le case management de transition à la sortie de l’hôpital psychiatrique [19, 20]. Dans une perspective de rétablissement [21], ces interventions ne se limitent pas à la nécessité de traiter les symptômes, mais partent des besoins, des priorités et des valeurs exprimées par les personnes.
Les objectifs de cette étude sont d’examiner la faisa­bilité et les résultats d’une intervention de case management clinique dont le but est l’évaluation et l’enga­gement dans les soins (EES) de personnes ayant des problèmes d’emploi récurrents liés à un trouble de santé mentale, mais difficiles à engager dans des soins psychiatriques standards.

Matériel et méthode

Il s’agit d’une étude rétrospective, menée sur l’ensemble des personnes ayant consécutivement accédé à la filière évaluation et engagement dans les soins (EES) du programme RESSORT entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014. Cette intervention part des difficultés d’emploi pour amener les personnes à faire le lien entre leurs difficultés fonctionnelles et les troubles psychiques, et enfin les engager dans des soins adéquats. Le résultat principal de l’intervention est l’engagement dans les soins. Les aspects liés au retour à ­l’emploi ont fait l’objet d’une étude antécédente sur la filière IPS et ne seront pas traités ici [22].

Participants

Les données concernant 101 patients proviennent de la base de données clinique utilisée par les intervenants RESSORT. Une extraction anonymisée des données a été réalisée. La Commission cantonale d’Éthique de la Recherche sur l’être humain Vaud (CER-VD) a autorisé l’utilisation des données à posteriori selon la Loi relative à la recherche sur l’être humain (no du protocole 361/14, décision du 30.09.2014).

Conditions d’admission dans le programme

Pour être admises dans le programme d’évaluation et d’insertion dans les soins, les personnes doivent avoir des difficultés d’insertion professionnelle, présenter un probable trouble psychiatrique non traité et ne pas s’engager dans des soins psychiatriques ­adéquats malgré l’insistance des personnes qui les accompa­gnent dans leur projet d’insertion profes­sionnelle, ­assistants sociaux ou intervenants au sein d’organismes placeurs. La plupart des participants n’ont ainsi pas de suivi au début du programme. Une minorité d’entre eux bénéficie d’un suivi psy­chiatrique, ­souvent sans connexion suffisante avec les ­difficultés d’insertion, ou présentant d’importantes difficultés de communication entre les services sociaux et les soins.

Intervention

L’intervention d’évaluation et d’engagement dans les soins (EES) a lieu dans le milieu de vie de la personne, est proactive et s’intéresse à l’impact fonctionnel des troubles psychiques sur la vie quotidienne. Au vu de l’intensité possible de l’intervention et de son caractère mobile, le nombre de cas est limité à moins de vingt ­patients par intervenant. Les case managers sont des infirmiers en psychiatrie expérimentés, soutenus par une équipe pluridisciplinaire de psychiatre, psycho­logues, ergothérapeutes et assistant social.
Initialement, les personnes sont désaffiliées sur le plan social et sanitaire. Elles ont des graves difficultés en emploi, sont le plus souvent à l’aide sociale et ne reçoivent pas de soins adéquats. La demande provient de tiers, car les personnes elles-mêmes ne demandent pas de soins et ne sont en général pas conscientes d’une problématique psychiatrique. Ces tiers sont ­généralement les référents des services sociaux ou des mesures d’insertion, plus rarement la famille. Le but de l’intervention est de favoriser le rétablissement dans le respect des besoins, des priorités et des valeurs de la personne. Dans le contexte de cette intervention, les difficultés en emploi constituent le plus souvent une priorité pour la personne, mais sans que celle-ci n’associe l’origine de ces difficultés avec des troubles psychiques. Le case manager se déplace dans les ­mesures de réinsertion ou en entreprise, pour évaluer les troubles et leurs conséquences fonctionnelles, coordonner les interventions et déstigmatiser les troubles et les soins psychiatriques. Il effectue un bilan des difficultés, des ressources et de la santé psychique de la ­personne, tout en la soutenant dans son projet d’in­sertion professionnelle, de mise en place de stages, ou de dépôt d’une demande auprès de l’Assurance Inva­lidité. Conscients des barrières d’accès aux soins psychiatriques, le case manager et son équipe se montrent flexibles, mobiles, disponibles et proactifs. Lorsque la personne accepte des soins, elle est accompagnée par l’équipe vers un suivi psychiatrique institutionnel ou privé. Une fois le suivi psychiatrique mis en place, le suivi EES coordonné par le case manager peut se ter­miner. Lorsque la situation clinique du patient le permet, et que le patient est inscrit depuis plus de 3 mois dans un suivi psychiatrique, un suivi IPS afin de sou­tenir un projet d’insertion professionnelle peut se construire.
Sur le plan pratique, le premier contact entre le case manager et la personne a lieu en présence du demandeur, qui explique les raisons de sa demande d’intervention. La personne est ensuite invitée à nommer les problèmes les plus importants à ses yeux. Ces problèmes sont rarement identifiés par la personne dans le domaine de la santé, mais concernent surtout le ­travail, parfois le logement ou les relations sociales. Dans une deuxième étape, le case manager commence immédiatement par aider la personne à résoudre ces problèmes prioritaires, tout en évaluant l’impact fonctionnel des troubles psychiques. Le case manager aide la personne à prendre conscience du lien entre les troubles psychiques et les difficultés rencontrées. Une fois ce lien établi, la troisième étape consiste à construire un projet thérapeutique et à affilier la ­personne a des soins de plus longue durée. Des rendez-vous en présence du demandeur sont agendés tous les 3 mois, avec une réévaluation des objectifs. Lorsqu’un suivi adéquat a été mis en place, le case ­manager termine son intervention en transmettant un bilan au réseau comprenant la personne, le demandeur et les nouveaux intervenants de soins. Une vignette clinique illustre ce processus.

Vignette clinique

Pascal, 22 ans, fume du cannabis et passe la plupart de son temps à jouer en réseau. La demande d’intervention vient de son assistant social, qui s’inquiète des nombreux rendez-vous manqués et des échecs répétés dans les mesures d’insertion ­pro­fessionnelle. Découragé par un licenciement quatre ans ­auparavant lors de sa première année d’apprentissage, Pascal se dit victime du système et ne voit pas l’intérêt d’une consultation psychiatrique. Une première rencontre avec l’intervenant ­RESSORT a lieu au bureau de l’assistant social, durant lequel Pascal est néanmoins d’accord de faire le point sur ses projets professionnels. Initialement, Pascal annule pourtant plusieurs rendez-vous en dernière minute, mais finit par se rendre à une rencontre près de chez lui. Il parle alors de son anxiété dans les lieux publics et de ses difficultés à se rendre à ses rendez-vous en ville. Pour surmonter cet obstacle, l’intervenant convient de le rencontrer initialement dans le parc à côté de son immeuble. Une phobie sociale et un état dépressif invalidants sont diag­nostiqués, gérés par des consommations de cannabis depuis l’adolescence. Le psychiatre du programme lui explique que ses troubles peuvent être traités par un antidépresseur, une ­approche cognitivo-comportementale et une activité physique régulière. Pascal reprend ainsi la musculation, puis accepte un traitement antidépresseur pendant quatre semaines. Lors du ­bilan à 3 mois avec l’intervenant et l’assistant social, l’angoisse et la tristesse sont attenuées et Pascal souhaite continuer le ­traitement. Il trouve ensuite un psychiatre dans son quartier, avec qui il a un bon contact. Il se sent alors prêt à reprendre ses recherches d’apprentissage, avec un soutien à l’emploi par ­RESSORT, en collaboration avec son psychiatre et le programme des services sociaux JAD, spécialisé pour les 18-25 ans en difficulté.

Analyses statistiques 

Le profil de la population accédant au programme a été évalué par des analyses descriptives sur l’ensemble des participants. Les variables sociodémographiques (sexe, âge, niveau scolaire), socioprofessionnelles (statut social, activité au cours de l’année précédente, source de revenu) et cliniques (diagnostic, état du suivi psychiatrique) ont été rapportées sous forme de moyennes ou de pourcentages. Les diagnostics ont été posés à la fin des prises en charge, suite à l’évaluation par les intervenants supervisés par un psychiatre expérimenté.
Pour évaluer l’insertion dans les soins, la proportion des personnes ayant accédé à un traitement à la fin du suivi est comparée à la situation au début de l’intervention à l’aide du test du Chi-carré. L’odd ratio, ou «rapport des cotes», a été calculé sur la table de contingence de manière à pouvoir accompagner les ­résultats du test du chi carré d’une mesure de la taille d’effet. Pour éviter de biaiser les résultats, les analyses ont pris uniquement en considération les dossiers déjà fermés au 31 décembre 2014 (n = 76).
Pour déterminer l’influence des variables sociodémographiques et cliniques sur l’entrée (ou non) en soins, le test non paramétrique de Mann-Whitney a été ­utilisé pour les variables catégorielles ordinales ou continues non normales, et les tests du Chi-carré ou de Fisher pour les variables catégorielles nominales.
Finalement, pour évaluer l’influence des variables ­socio-épidémiologiques et cliniques sur le délai temporel d’entrée en soins, des tests de Mann-Whitney et de Kruskal-Wallis ainsi que des corrélations non ­paramétriques Rho de Spearman ont été utilisées sur l’ensemble des dossiers des patients ayant accédé aux soins (n = 53). Tous les tests statistiques ont été réalisés de manière bilatérale avec un seuil de significativité fixé à 0,05. Toutes les analyses ont été effectuées avec le logiciel IBM SPSS Version 22.

Résultats 

Profil socio- démographique et clinique 
de la population

Le tableau 1 décrit les caractéristiques sociodémographiques et cliniques de la population. Cette dernière se compose principalement d’hommes (60.4%), avec un âge moyen de 30 ans et un niveau scolaire ne dépassant pas la scolarité obligatoire dans la plupart des cas (69,0%). Seuls 21,8% des patients ont eu une activité professionnelle pendant l’année précédente. La grande majorité des participants (79,2%) bénéficie d’un revenu d’insertion de l’aide sociale. Concernant le diagnostic, il y a une prépondérance de troubles de l’humeur (29,0%) et de troubles de la personnalité (26,0%). La grande majorité des patients ne bénéficie d’aucun suivi psychiatrique à l’entrée (87,1%).
Tableau 1: Caractéristiques sociodémographiques, socio­professionnelles et cliniques de la population EES (Entrée En Soins) à l’admission (n = 101).
 Groupe entrée 
en soin (N = 101)
Age, moyenne (écart type)30,3 (11,1)
Sexe 
% Homme (n)60,4% (61)
Niveau scolaire, % (n) 
Université, haute école3,0% (3)
Maturité, école supérieure1,0% (1)
Ecole professionnelle1,0% (1)
Apprentissage, maîtrise fédérale26,0% (26)
Scolarité obligatoire61,0% (61)
Aucune scolarité menée à terme8,0% (8)
En activité au cours de l’année 
précédente % oui (n)21,8% (22)
Source de revenu % (n) 
R/SPAS79,2% (80)
Chômage9,9% (10)
Bourse d’étude3,9% (4)
Mixte 3,0% (3)
AI2,0% (2)
Travail salarié1,0% (1)
Fortune personnelle1,0% (1)
Diagnostic principal (CIM-10) % (n) 
Tr. de l’humeur29,0% (29)
Tr. anxieux et liés au stress19,0% (19)
Tr. de la personnalité26,0% (26)
Tr. psychotiques6,0 % (6)
Tr. autre13,0% (13)
Evaluation diagnostique à faire5,0% (5)
Diagnostic non spécifié2,0% (2)
Suivi psychiatrique à l’entrée, % oui (n)12,9% (13)
Répartition selon type de soins à l’entrée% (n)
Soins autres46,2% (6)
Soins Département de Psychiatrie30,7% (4)
Soins psychiatriques privés23,1% (3)

Prédicteurs d’entrée en soins et durée du suivi

Le taux d’accès aux soins des participants est présenté dans le tableau 2. Au début de l’intervention, 17,1% des personnes bénéficient d’un suivi psychiatrique, ce chiffre s’élevant à 51,3% en fin de programme. Cette ­différence statistiquement significative indique que les patients ont 5,1 fois plus de chances de bénéficier de soins à la sortie du programme par rapport à l’entrée.
La durée moyenne d’un suivi est 8 ± 7.512 mois (médiane = 5 mois).
Tableau 2: Impact de RESSORT sur l’accès aux soins, à l’entrée vs à la sortie du programme (N = 76).
Etat de soinsEntrée  Sortie  Χ2dlpOR
N%N% 
Personnes en soins1317,1%3951,3% 19,761<0,0015,1
Personnes sans soins6382,9%3748,7% 76
Note: dl = degré de liberté; OR = Odds Ratio.
L’âge, le sexe, le niveau scolaire et la durée moyenne du suivi ne révèlent pas de différences significatives pour l’engagement dans les soins.
Le délai temporel moyen d’accès aux soins depuis l’entrée dans le programme est de 5.15 ± 3.83 mois (temps médian = 3 mois). Les personnes sont pour la plupart orientées vers la psychiatrie publique (45,3%) ou des psychiatres privés (41,5%).
Les variables sociodémographiques n’ont pas d’impact significatif sur ce délai temporel. Par contre, la présence d’un trouble de l’axe II, qui inclut les traits per­sistants comme les troubles de la personnalité, est lié à un délai temporel moyen d’accès aux soins d’environ deux mois plus important par rapport aux troubles ­cliniques de l’axe I comme les troubles dépressifs, psychotiques ou anxieux (tableau 3).
Tableau 3: Impact de catégorie diagnostique sur le délai d’entrée en soins (N = 40)1.
 Délai temporel en mois   
Axe diagnostique Médiane (IQ)Moyenne (écart-type)Uzp
Tr. axe 1 3 (2)4,66 (3,72)98,52,170,030
Tr. axe 2 6 (6)6,55 (3,50)  
Note: 1 Réduction des effectifs: 9 patients déjà en soins à l’entrée; 1 patient sans diagnostic psychiatrique; 2 évaluations ­diagnostiques à faire; 1 donnée manquante.

Discussion

Cette étude examine une population de personnes qui échouent de manière répétée dans leurs tentatives d’insertion professionnelle en raison de difficultés psychiques potentiellement traitables, et qui ne sont pas engagées pas dans des soins adéquats. Les résultats montrent que tous les problèmes de santé mentale sont représentés, avec une majorité de troubles dépressifs et anxieux, mais également des troubles psychotiques parfois sévères. Il s’agit en majorité de jeunes hommes qui bénéficient de l’aide sociale, sans formation professionnelle au-delà de la scolarité obligatoire. Une faible minorité d’entre eux bénéficie déjà d’un traitement, mais avec un lien insuffisant avec les mesures d’insertion professionnelle. Ce profil correspond à une sous population à risque de présenter des dif­ficultés d’insertion, déjà identifiée dans la littérature [4, 5, 9, 10].
En considérant les difficultés d’insertion professionnelle couplées aux troubles psychiques comme une ­période critique, au même titre que la sortie de l’hôpital psychiatrique [23], ou d’une période sans logement [24], une intervention de case management en période critique vise à aider la personne à prendre conscience des troubles et de leurs répercussions fonctionnelles, puis à accéder à un suivi psychiatrique. Cette inter­vention a la particularité d’être mobile et proactive, et part des difficultés identifiées par la personne sans se focaliser sur les symptômes. Pour les personnes en ­difficulté d’insertion professionnelle, il s’agit principalement de les aider à prendre conscience du lien entre ces difficultés et les conséquences fonctionnelles des troubles psychiques. Les intervenants maintiennent le contact avec la personne de manière active afin de ­minimiser le risque d’évitement et de rupture, mais aussi pour l’aider à dépasser l’ambivalence face aux soins ou la faible motivation initiale. Notre étude montre que ce type d’intervention permet de multiplier par cinq les chances d’accéder à des soins, quelle que soit la catégorie diagnostique.
Les caractéristiques des personnes ne permettent pas de prédire le résultat de l’intervention sur l’accès aux soins. Plusieurs hypothèses pourraient rendre compte de ces divergences avec la littérature citée en intro­duction. Premièrement, la plupart des études ont été menées sur la population générale, tandis que la ­population cible de ce programme constitue une sous-population différente, composée d’individus ­particulièrement difficiles à engager dans les soins ­traditionnels. Deuxièmement, la prédominance des hommes dans ce programme pourrait refléter d’un côté une plus grande difficulté à engager les hommes dans les soins traditionnels [5, 8], et de l’autre, l’efficacité des efforts des ­intervenants RESSORT pour joindre cette sous population. Enfin, d’autres variables non ­testées pourraient jouer un rôle dans l’engagement dans les soins, comme le degré d’auto-stigmatisation ou le lien de confiance avec l’intervenant.
Les difficultés d’engagement dans les soins ne sont ­toutefois pas anodines et l’intervention dure en moyenne près de six mois. Le délai d’accès aux soins est significativement plus élevé chez les personnes ­atteintes d’un trouble de l’axe II, qui par définition souffrent de traits dysfonctionnels durables, et non d’un trouble transitoire. Ces traits sont profondément ancrés dans leur identité, avec des conséquences fonctionnelles sur le plan émotionnel, relationnel et cognitif, mais souvent accompagnés d’une faible conscience morbide et d’un recul limité sur les impacts fonc­tionnels. D’autre part, certaines études rapportent une perception accrue de la stigmatisation et de l’auto ­stigmatisation dans les troubles de la personnalité, qui pourrait expliquer en partie une réticence à consulter [25, 26].
Nous constatons néanmoins certaines limitations. Malgré le succès du programme pour les personnes qui en bénéficient, près de la moitié des participants n’accèdent pas à des soins à la fin de l’intervention. Les données à disposition ne permettent pas de déter­miner si ces participants ont bénéficié du programme d’une autre manière ou si l’intervention a permis de les aider à surmonter leurs difficultés d’insertion pro­fessionnelle. En effet, au-delà d’un accompagnement vers un traitement de plus longue durée, l’intervention des case managers peut avoir un effet thérapeutique propre, lié à leurs compétences de soignants. Cette «thérapie mobile» peut favoriser le rétablissement, par exemple par la compréhension des schémas dysfonctionnels répétitifs, l’acquisition de compétences de gestion des émotions ou des relations, la capacité de surmonter l’évitement dans les troubles anxieux par l’exposition aux stimuli anxiogènes, l’augmentation de l’estime de soi et de l’espoir, ou par une meilleure ­intégration de l’identité en tenant compte de l’expérience du trouble psychique. D’autre part, les effectifs de cette étude restent à ce jour modestes, et l’absence de groupe contrôle ne permet pas de démontrer l’efficacité du suivi par rapport à une autre intervention, ni de généraliser ces résultats. L’absence de recul et de données sur le retour à l’emploi constituent une limitation supplémentaire.

Conclusions

Le programme d’évaluation et d’engagement dans les soins s’adresse à une population invisible pour la ­psychiatrie classique, composée de personnes fragi­lisées, en échec d’insertion professionnelle, avec des problèmes de santé mentale et qui présentent des ­dif­ficultés d’engagement dans les soins.
Inspirée des interventions en période critique développées initialement pour les personnes sans-abri ayant des troubles psychiatriques sévères, une intervention de case management clinique contribue à diminuer la durée des troubles non traités, et ainsi potentiellement à améliorer leur état de santé et à surmonter leurs difficultés d’insertion dans le marché du travail.
No financial support and no other potential conflict of interest ­relevant to this article was reported.
Carlotta Silini
Étudiante
DP – CHUV – Service de Psychiatrie Communautaire
Consultation de Chanderon
Place Chanderon 18
CH-1003 Lausanne
carlotta.silini[at]unil.ch
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