Les Sourds: une population vulnérable méconnue des professionnels de la santé
Difficultés et inégalités d’accès à la prévention et aux soins

Les Sourds: une population vulnérable méconnue des professionnels de la santé

Übersichtsartikel
Édition
2018/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03361
Forum Med Suisses. 2018;18(38):769-774

Affiliations
a Centre des Populations Vulnérables, Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, b Unité d’Accueil et de Soins pour les Sourds, Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Grenoble Alpes; c Service de Psychiatrie de Liaison, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne

Publié le 19.09.2018

Les personnes sourdes sont plus à risque de maladies chroniques dû à leurs difficultés d’accès aux soins, à une prise en charge médicale problématique et aux difficultés de communication.

Introduction

Dans les années 1990, certaines personnes sourdes, en France, pensaient qu’il suffisait de mettre de la crème solaire pour se protéger du SIDA. En cause, selon toute vraisemblance, l’affiche d’une campagne de prévention qui représentait le virus VIH tel un disque orange pouvant faire penser au soleil [1–3].Plus récemment, circulait dans la communauté sourde l’idée qu’il était dangereux pour la santé de fumer durant la «nuit» car avec la syntaxe de la langue des signes (LS), «fumer nuit gravement à la santé» était interprété comme tel [2]. De tels exemples [4], illustrent le décalage culturel entre la communauté sourde et la population générale et soulèvent des interrogations en ce qui concerne la communication entre soignants Entendants et Sourds1 [5] ainsi qu’en ce qui concerne la littératie en santé de ces derniers [6].
Notre article rend compte des difficultés et inégalités d’accès à la prévention et aux soins des Sourds et présente des éléments ayant trait à leur état de santé [7, 8]. Deux expériences concrètes visant une meilleure prise en charge en termes de santé de la communauté sourde sont également présentées: d’une part le Service d’accueil et de soins pour les Sourds au sein du Centre Hospitalier de Grenoble et ses activités [9]; d’autre part, un projet initié et animé par des étudiants en Médecine et Santé des Universités et des Hautes Ecoles Spécialisées en Santé de Lausanne et de Genève ayant pour but de sensibiliser les futurs professionnels de santé à la question des patients sourds [10, 11]. En outre, quelques adresses utiles sont listées dans l’Encadré 1.

Encadré 1: Adresses utiles


– Fédération Suisse des Sourds: http://www.sgb-fss.ch/fr/
– Demande d’interprète non urgente:
– Demande d’interprète urgente:
– Dictionnaire français – langue des signes:
– Informations sur la santé sexuelle: https://danstonslip.info/
– Fiches pour expliquer la santé avec des mots simples:
– «Signes», émission mensuelle sur la surdité en langue des signes: http://www.rts.ch/emissions/signes/
– L’œil et la main, Emission culturelle en français et langue des signes : https://www.france.tv/france-5/l-oeil-et-la-main/

De quels Sourds parle-t-on?

Il est question ici des Sourds profonds congénitaux ou précoces, c.-à-d. des Sourds de naissance ou devenus sourds avant l’acquisition du langage oral (avant 3 ans). Ils représentent environ 1 naissance /1000 dans les pays à haut revenu [3, 12]. Une grande part de ces Sourds perçoivent leur surdité non pas comme un élément négatif mais comme une appartenance socio-culturelle [2, 13, 14].Ils partagent un humour, une histoire et une langue qui leur sont propres. Cette langue, la LS, naturellement adaptée à leurs compétences visuelles, leur sert de support à la pensée, de moyen d’interagir avec les autres et constitue le socle de leur culture. Les langues orales et écrites sont habituellement pour eux des langues secondes dans la mesure où, basées sur le son, elles sont plus difficiles à acquérir et à manier. Les Sourds s’inscrivent donc dans un contexte de bilinguisme et de biculturalisme, étant allophones dans leur propre pays et, la plupart du temps, dans leur propre famille [15]. En effet, plus de 90% des enfants sourds sont nés de parents entendants, dont la quasi-totalité ne connaissent ni n’utilisent la LS [16], ayant au mieux mis en place un code familial mimo-gestuel ad hoc2.

Compréhension des langues orales difficiles

Le niveau de connaissances en langues orales et écrites est très variable d’un Sourd à l’autre. De plus, il existe de grandes différences syntaxiques entre LS et langues orales et écrites, ce qui peut être source de malentendus, notamment avec les soignants [17]. Par exemple, lorsqu’on dit, «1 comprimé le soir après le repas», un Sourd peut comprendre qu’il doit prendre son comprimé, après quoi il pourra manger son repas.

Les limites de la lecture labiale

Les patients sourds utilisant la lecture labiale depuis plusieurs années et ayant de bonnes connaissances en langue orale discriminent seulement 30–45% [18] de ce qui est dit en lisant sur les lèvres, et ce à condition qu’il n’y ait qu’un seul interlocuteur, parlant distinctement en face à face [19]. Le reste est comblé par la suppléance mentale (capacité à deviner un mot à l’aide de quelques indices acoustiques et du contexte).De plus, on observe une diminution rapide des capacités de lecture labiale en cas de baisse de concentration, par exemple lors de fatigue, de stress ou de discussion qui se prolonge. C’est pourquoi, la Fédération Suisse des Sourds préconise la lecture labiale comme aide à la communication et non comme moyen de communication premier.

Accès à l’écrit difficile

La plupart des Sourds ont un accès à l’écrit difficile [20]: un rapport gouvernemental français [21] estime même que 80% des Sourds sont illettrés (à présent le terme de non-lecteurs est utilisé préférentiellement). LaVigne et Vernon rapportent qu’à 18 ans seuls 10% des Sourds ont un niveau de lecture de fin de scolarité [22]. Au final, il faut donc garder à l’esprit que l’utilisation de l’écrit avec un patient sourd peut donner faussement l’illusion d’une bonne compréhension mutuelle.

Niveau de formation plutôt faible

Aux Etats-Unis, alors que 41% des Entendants ont une formation supérieure, seuls 25% des Sourds accèdent aux études supérieures [23].

Impact des implants cochléaires

Les dispositifs d’implants cochléaires offrent des possibilités de récupération auditive supérieures à celles des dispositifs externes (contours d’oreille). Leur bénéfice est certain et général pour les entendants qui sont devenus sourds. Cependant, l’accès à la langue orale pour les Sourds implantés n’est pas homogène : excellente récupération auditive et accès aisé à la langue orale pour certains enfants, échec pour d’autres.Si les trois quarts des patients implantés (surdité profonde et surdité acquise confondues) jugent les résultats auditifs de l’intervention bons à excellents [24], il ne faut pas oublier qu’une rééducation auditive est généralement nécessaire. En effet, l’implant cochléaire va stimuler des zones auditives jusqu’alors oubliées et il est nécessaire d’effectuer un réentrainement du système auditif, sous forme de séances de logopédies qui peuvent s’étendre sur une période plus ou moins longue en fonction des patients. Par ailleurs, des réglages de l’implant sont nécessaires afin d’ajuster au mieux la prothèse au patient. Les pannes techniques sont extrêmement rares et la durée de vie de l’implant placé chirurgicalement est de plusieurs décennies. Dans certains cas, les résultats de l’implantation cochléaire peuvent être limités et la lecture labiale reste un support nécessaire à la communication.
Selon le Baromètre français santé Sourds et malentendants [25] près de ¾ des Sourds locuteurs en langue des signes ne désirent pas d’implants. Toujours selon ce Baromètre, les Sourds avec implant cochléaire seraient moins sujets à la détresse psychologique que les Sourds non implantés, alors que les Sourds maîtrisant la langue des signes auraient une meilleure perception de leur santé [25]. Par ailleurs des études rapportent que les Sourds implantés acquièrent de meilleures connaissances en matière de lecture et de compréhension de textes écrits leur donnant davantage accès à des études supérieures, ce qui en soi est un facteur protecteur en termes de santé [26]. La réalité de terrain montre que l’implant cochléaire et la langue des signes n’ont pas de raison de s’opposer: en effet, de nombreux sourds implantés sont à l’aise en langue des signes, et de nombreux pays d’Europe du nord ont une politique éducative favorisant l’usage précoce de la langue des signes, quelle que soit l’approche réparatrice de l’audition.
En tout état de cause, le parcours de vie d’une personne sourde implantée demeure plus fragile et compliqué que celui d’une personne entendante.

Une population à la santé vulnérable: pourquoi?

Il existe un certain nombre d’éléments qui contribuent à la vulnérabilité des Sourds (fig. 1).
Figure 1: Eléments contribuant à la vulnérabilité des patients sourds.

Faible littératie de santé

La littérature rapporte une faible littératie en santé des Sourds. Ils n’ont que peu accès aux informations «tout public» concernant la santé: ils ont un accès limité aux informations via la radio, la télévision, ou les conversations de leurs proches [27], ainsi qu’aux messages transmis par des campagnes de prévention [28]. Margellos-Anast et al. qui ont investigué les connaissances d’un collectif de Sourds en matière de maladies cardio-vasculaires signalent que seuls 49% des Sourds étaient en mesure de nommer un symptôme potentiel d’infarctus du myocarde, contre 90% d’un collectif comparable d’Entendants [29]. Il en va de même en ce qui concerne des facteurs de risque de ces maladies: l’hypertension artérielle est reconnue par 59% des Sourds (contre 97% des Entendants), le diabète par 40% (contre 75%) [29]. Des différences similaires sont rapportées dans le domaine de la santé reproductive (contraception, grossesse, dépistage du cancer du col de l’utérus) [30, 31].

Difficultés d’accès aux soins et/ou à des soins de qualité

Les difficultés sont nombreuses:

Difficultés logistiques

Citons les difficultés techniques, comme prendre rendez-vous par téléphone ou entendre son nom quand on est appelé dans la salle d’attente [4].

Difficultés de communication

Il est fréquemment rapporté par les patients sourds que les instructions des médecins/soignants ne sont pas claires et qu’ils se sentent exclus lorsque les soignants parlent entre eux ou avec leur famille [20, 31]. Une étude britannique signale que 44% des Sourds considèrent leur dernière consultation médicale comme ayant été difficile, contre 17% dans la population générale [32]. De plus, les Sourds rapportent fréquemment des expériences stressantes et frustrantes avec le système de santé, et qui, non-«digérées», contribuent à compromettre la relation de confiance entre patient et soignants [20, 33]3.

Exclusion des droits des patients

L’article no°25 de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées reconnaît que les « personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap » [34]. Cela signifie notamment le droit au respect de la vie privée et au consentement libre et éclairé, deux droits pas toujours suffisamment respectés [27].
Autant de difficultés qui augmentent le risque d’une prise en charge tardive ou insuffisant pouvant entraîner des conséquences néfastes sur l’état de santé du patient sourd [35].

Sur-morbidité

La «sur-prévalence» de facteurs de risques cardiovasculaires au sein de la population sourde est rapportée par de nombreux auteurs: ainsi Margellos-Anast et al. signalent que 84,4% des patients sourds ont au moins un facteur de risque cardiovasculaire, contre 64% de la population générale [29]; Barnett et al. rapportent que 34,2% des patients sourds sont obèses contre 26,6% de la population générale [36]; Edmond et al. rapportent que seuls 42% des hypertensions sont traitées de manière adéquate chez les Sourds contre 62% dans la population générale [37].
La population sourde est également plus à risque de maladies mentales, avec une prévalence de dépression, d’anxiété et de troubles somatoformes plus importante qu’au sein de la population générale [27]. En France, parmi les Sourds et Malentendants utilisant la LS comme moyen de communication 42,7% ressentent une détresse psychologique4 et 18,9% ont eu des pensées suicidaires durant les 12 derniers mois contre 16,7% et 3,9% des Entendants respectivement [25]. Les difficultés communicationnelles au sein de la famille, les expériences scolaires négatives et l’isolement social que rencontrent les Sourds sont des facteurs de risque en terme de maladie mentale [27]. Les Sourds sont également plus à risque de violence interpersonnelle [27, 36]. Un quart des femmes sourdes ou malentendantes rapportent ne pas avoir souhaité leur premier rapport sexuel, soit deux fois plus que les femmes de la population générale [25]. On note également des disparités sur le plan de la santé reproductive et des comportements à risque en matière de santé sexuelle. Alors que 60% de la population générale dit toujours utiliser un préservatif lors de rapport sexuel avec un nouveau partenaire, c’est le cas de 34% des Sourds et Malentendants. De plus, 32% d’entre eux disent ne jamais utiliser de préservatif, contre 16% de la population générale [25].
Zazove et al. considèrent ainsi les Sourds comme étant la minorité la plus à risque en termes de santé [17].

Que peut-on faire? Deux exemples réussis

Exemple 1: Unité d’Accueil et de Soins pour les Sourds au CHU de Grenoble [9]

En France, la loi du 11 février 2005 pour «l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées» reconnaît la LS française comme langue à part entière et fait obligation à tout service public, «à (la) demande (des personnes déficientes auditives), d’une traduction écrite simultanée ou visuelle de toute information orale ou sonore les concernant (…)» [38, 39].
Créée en 2001 au sein du CHU de Grenoble l’Unité d’Accueil et de Soins pour les Sourds est une unité pionnière. L’équipe est constituée de professionnels sourds et entendants ayant tous un niveau en LS supérieur ou égal au niveau B2 du Cadre Européen Commun de Références des Langues, soit au minimum 400 heures de formation linguistique. La langue de travail de l’Unité est la LS. On y trouve: 2 intermédiatrices sourdes, une éducatrice spécialisée sourde responsable pédagogique, une assistante sociale sourde, 2 psychologues entendantes, 4 médecins généralistes entendants, 1 cadre de santé entendante (coordination et logistique), 2 secrétaires entendantes et 5 interprètes diplômées LS-français (diplôme de master). Les interprètes et les intermédiatrices ont des rôles distincts et complémentaires au sein de l’Unité. L’interprète traduit de manière fidèle, neutre et exhaustive tous les propos des interlocuteurs présents (médecin, patient, soignant, accompagnant) d’une langue vers l’autre. L’intermédiatrice professionnelle, obligatoirement Sourde et spécifiquement formée (licence professionnelle), effectue l’adaptation culturelle. Elle permet donc au médecin et au patient d’être sur un pied d’égalité; le patient sourd pouvant ainsi prendre sa place d’acteur de son parcours de soins à part entière [40]. L’intermédiatrice sourde joue également un rôle de référent identitaire, essentiel pour les jeunes patients.
De la prise de contact jusqu’à la transmission des résultats médicaux, le service est adapté aux Sourds. Les échanges avec le secrétariat se font au travers des moyens de communications habituels des Sourds (SMS, fax, courriels, visioconférence), permettant au patient d’être autonome. Le service propose des consultations de médecine générale, des entretiens de psychologue, des entretiens éducatifs et sociaux en LS ou en français, selon le désir du patient. D’autre part, les interprètes et intermédiatrices sont mis à la disposition de l’ensemble des services du CHU, assurant une adaptation de l’intégralité du parcours de soins au CHU: consultations spécialisées, hospitalisations, examens complémentaires. Les interprètes et les intermédiatrices accompagnent les patients au bloc opératoire jusqu’à leur endormissement, sont présentes lors d’interventions avec anesthésie partielle, et les accueillent en salle de réveil.
Ainsi les compétences linguistiques au sein de l’Unité s’appuient sur le principe du transfert de l’exigence linguistique, comme préconisée dans la circulaire relative aux missions des Unités d’Accueil et de Soins des Sourds [41]: ce n’est désormais plus au patient de s’adapter à la langue des professionnels de santé, mais c’est le système de santé qui doit utiliser la langue dans laquelle le patient est le plus à l’aise. Tout au long de leurs parcours de soin, les patient sont pris en charge dans le respect de leurs droits fondamentaux (autonomie, consentement libre et éclairé, accès aux informations) ; ils se retrouvent dans une situation de soins similaire à celle de la population générale.L’Unité offre actuellement 80 consultations médicales par mois, les patients consultant ont entre 10 mois et 80 ans. Depuis 1996, une vingtaine d’Unités d’Accueil et de Soins pour les Sourds se sont constituées dans différentes régions de France, et à ce jour, plus de 18 000 patients sourds y ont déjà fait appel pour leurs soins [42].
L’approche proposée par les Unités françaises d’accueil et de soins pour les sourds est originale, en cela qu’elle aborde la question de la surdité sous un angle linguistique et culturel. C’est le patient qui dicte la réalité de ses besoins. L’efficacité des unités d’accueil et de soins pour les Sourds en France tient pour une large part à ce que le patient sourd n’est pas pris en charge en tant que sujet à rééduquer, mais pris en compte comme un sujet intègre, dont les particularités, si elles sont déniées par le système de santé, vont l’en exclure autant qu’elles excluront le soignant de ses capacités à exercer correctement son métier.

Exemple 2: Mobilisation des futures générations de médecins et soignants: «Breaking The Silence» et «MedSigne … pour mieux s(o)igner»

C’est dans le cadre de l’association M.E.T.I.S. (Mouvement d’Etudiants Travaillant contre les Inégalités d’Accès à la Santé) qui regroupe des étudiants en médecine et santé de l’Université et des Hautes Ecoles Spécialisées de Lausanne, que le projet «Breaking The Silence» a vu le jour en 2013 [11]. A travers ses actions, «Breaking The Silence» essaie de sensibiliser le monde hospitalier lausannois à la problématique d’accès aux soins des Sourds en visant à développer les connaissances et le respect des professionnels de la santé quant à la culture sourde. Dans ce cadre, un cours de sensibilisation à la surdité a été mis en place dans le cursus des étudiants en médecine de l’Université de Lausanne en collaboration avec le Centre des Populations Vulnérables de la Policlinique Médicale Universitaire [43]. «Breaking The Silence» propose un cours d’initiation à la LS pour soignants et étudiants en santé au CHUV (>250 participants), des projections de films et conférences sur le thème de la surdité, des soirées de rencontre entre Entendants et Sourds («Soirées Silence» durant lesquelles les participants doivent communiquer par un autre moyen que la parole).
Un projet similaire s’est développé au sein de l’Université de Genève: «MedSigne … pour mieux s(o)igner» [10]. Ce projet a pour but de sensibiliser les étudiants en santé de Genève (Faculté de Médecine, Haute Ecole de Santé, Sciences Pharmaceutiques) à la problématique de la surdité dans le but qu’ils puissent accueillir avec plus de sérénité les personnes sourdes ou malentendantes qu’ils rencontreront durant leur vie professionnelle. «MedSigne» organise notamment des conférences abordant de multiples facettes de la surdité, propose des cours d’initiation à la LS (niveau 1 et 2) et au Langage Parlé Complété (complément visuel à la lecture labiale) et met à disposition une série de documents et adresses utiles.

Conclusion et implications pratiques pour les cliniciens

La population sourde est une population vulnérable sur le plan sanitaire. Il est du devoir du système de santé de s’adapter aux besoins spécifiques des patients sourds, afin de leur garantir une égalité de droits et une qualité des soins optimale. C’est une question de droit et de justice sociale [21, 27, 34, 44], ce d’autant plus que la Suisse a ratifié la Convention sur les Droits de l’Enfant [45] et celle sur les Droits des Personnes Handicapées [34].
L’accès aux soins des Sourds est un véritable défi pour le monde soignant, qui devra souvent mettre en question le regard qu’il porte sur le déficit auditif, et découvrir que, s’il n’accepte pas de faire un pas dans ce monde inconnu où les yeux peuvent entendre, il est aussi «handicapé» que son patient. Ceci ne va pas sans coût et sans investissement. Mais la prise en compte de la surdité sous l’angle linguistique et culturel lève efficacement les obstacles d’accès aux soins, et permet aux soignants d’exercer leur métier dans le respect de leur déontologie. Sans langue partagée, il n’y a pas de soins de qualité. Converser en langue des signes nécessite, pour un entendant, 400 à 500 heures de formation et une pratique régulière : cependant, s’initier soi-même à la LS sur quelques heures avec des formateurs sourds permet d’en saisir clairement les enjeux.

L’essentiel pour la pratique

De nombreuses personnes sourdes profondes congénitales ou précoces utilisent la langue des signes de manière plus efficiente que la langue orale. Dans un tel contexte il est utile de prendre en considération les recommandations de la Haute Autorité de Santé [46]:
• La présence d’un interprète diplomé en langue des signes, garantie de la fidélité et de la neutralité de l’interprétation, est nécessaire au long du parcours de soins.
• Sauf en cas d’urgence médicale, ou de souhait du patient, il ne doit pas être fait appel à un proche, ni à un professionnel non-diplômé connaissant la langue des signes pour traduire les échanges.
• Pour les patients sourds ayant des difficultés particulières (troubles cognitifs ou psychiques, dyspraxies, etc.): la présence d’un interprète diplômé reste nécessaire; l’intervention des intermédiateurs sourds est précieuse en complémentarité; pour certains patients lourdement handicapés, le proche peut apporter son aide.
• Les soignants utiliseront tous les moyens visuogestuels (désignation, mimes, schémas, photos, etc.) qui, sans se substituer aux mesures professionnelles décrites ci-dessus, seront une aide à la communication mutuelle au quotidien. De plus, ils mettront à disposition des patients des informations concernant les réseaux de soutien aux Sourds.
Ce travail a pu se réaliser grâce à une bourse d’étude de la Fondation Helga et Victor Bodifée (Lausanne) à l’un des auteurs (OCh) et au ­soutien de MM-PF ainsi que grâce à l’ensemble de l’équipe de l’Unité Rhône-Alpes d’Accueil et de Soins pour les Sourds au Centre Hospitalier Grenoble Alpes (France). Un remerciement tout particulier à la Dre C. Richard (Service ORL du CHUV) pour sa relecture critique et sa contribution au paragraphe «implants cochléaires».
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Oriane Chastonay,
médecin diplômée
Centre des Populations Vulnérables
Policlinique Médicale
Universitaire
Rue du Bugnon
CH-1011 Lausanne
oriane.chastonay[at]unil.ch
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