Pathologie: Biopsie liquide: la chasse aux mutations dans le sang
Pathologie

Pathologie: Biopsie liquide: la chasse aux mutations dans le sang

Schlaglichter
Édition
2018/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03123
Forum Med Suisse 2018;18(0102):29-30

Affiliations
a Institut für Pathologie Liestal, Kantonsspital Baselland, Liestal; b Institut für Medizinische Genetik und Pathologie, Universitätsspital Basel, Basel; c ­Pathologie, Luzerner Kantonsspital, Luzern

Publié le 03.01.2018

L’analyse de l’ADN tumoral à partir d’échantillons sanguins permet aux médecins de déterminer de façon non invasive les caractéristiques moléculaires d’une affection cancéreuse. La biopsie liquide vient enrichir le répertoire du pathologiste et ouvre de nouvelles possibilités très prometteuses.

Contexte

La biopsie liquide constitue un nouvel instrument ­permettant aux médecins d’établir le profil moléculaire de cancers plus facilement et plus rapidement. Le principe de base est déjà connu depuis des décennies: dans le sang circulent des acides nucléiques acellulaires ­porteurs d’information («cell free DNA» [cfDNA], mais également des acides ribonucléiques [ARN]), qui proviennent de cellules mortes de l’organisme. En cas d’affections tumorales, s’y ajoutent des cellules tumorales encore intactes («circulating tumor cells» [CTC]), de même que les acides nucléiques qui en émanent. Grâce à la disponibilité de nouvelles techniques d’analyse de l’ADN extrêmement sensibles («next generation sequencing», réaction de polymérisation en chaîne [PCR] numérique), il est désormais possible d’analyser les acides nucléiques et les cellules tumorales circulant dans le sang de façon systématique. L’analyse du cfDNAa déjà trouvé sa place dans la routine diagnostique.

Analyse non invasive de l’ADN tumoral en temps réel

Lors du diagnostic, les pathologistes évaluent les tumeurs malignes histologiquement ou cytologiquement, et, dans le cadre de la médecine personnalisée, au moyen de méthodes de biologie moléculaire. Ainsi, ils peuvent entre autres déterminer le type histologique de la tumeur, et après résection chirurgicale, mesurer la taille de la tumeur, la profondeur d’invasion, ou encore la distance de la tumeur par rapport à la marge de résection. Dans le cas du carcinome pulmonaire, de petites biopsies ou cytologies permettent par exemple de déterminer s’il s’agit d’un carcinome à petites cellules, d’un adénocarcinome ou d’un carcinome épidermoïde. Cette classification effectuée par les pathologistes a des conséquences pour le traitement et le pronostic des ­patients, et nécessite impérativement un diagnostic tissulaire ou cellulaire classique. Ce dernier exige cependant une intervention pour prélever du matériel tumoral. En outre, au stade métastatique avancé, l’analyse de pathologie moléculaire d’une localisation ­donnée n’est potentiellement pas représentative de l’ensemble de la tumeur en raison de l’hétérogénéité des tumeurs.
En Suisse, les pathologistes proposent depuis peu, en complément du diagnostic pathologique moléculaire basé sur les tissus, une analyse de pathologie molé­culaire des acides nucléiques dans le sang, à savoir une biopsie liquide ou analyse du cfDNA, en tant que composante supplémentaire de la médecine oncologique personnalisée [1]. Pour les affections cancéreuses, la biopsie liquide est actuellement utilisée en première ligne pour la mise en évidence de mutations de résistance en cas d’indices cliniques ou radiologiques de progression tumorale sous traitement ciblé. Chez les patients atteints de carcinome pulmonaire qui développent une progression tumorale secondaire sous traitement par inhibiteurs de tyrosine kinase de l’«epidermal growth factor receptor» (EGFR), la mise en évidence de la mutation de résistance p.T790M est une condition requise pour l’initiation d’un traitement supplémentaire par un médicament dirigé contre cette nouvelle mutation. Dans un avenir proche, la biopsie liquide sera probablement également utilisée pour mesurer la charge tumorale de façon non invasive et en temps réel, et pour identifier précocement les résistances contre les traitements ciblés. De premières données suggèrent que la mise en évidence d’une faible quantité de cfDNA ou même d’aucun cfDNa dans le plasma sanguin indique que la maladie est sous contrôle. En revanche, si des acides nucléiques réapparaissent soudainement dans le sang, cela suggère une progression tumorale, qui peut être observée au moyen la biopsie liquide, ­parfois même avant la survenue de signes cliniques. A l’avenir, le champ d’application de la biopsie liquide pourrait toutefois également être étendu au dépistage précoce de tumeurs et au diagnostic primaire des mutations conductrices oncologiques à partir du sang ou d’autres fluides corporels (par ex. urine) [1]. Les biopsies liquides n’entendent pas remplacer les biopsies tissulaires classiques, qui revêtent toujours une grande ­importance. Il s’agit bien plus de compléter l’arsenal classique de la pathologie, puisque les modifications génétiques peuvent être mises en évidence beaucoup plus vite et de façon non invasive, permettant aussi à l’oncologue d’adapter ­rapidement le traitement [2]. Les pro­cédés d’imagerie établis ne permettent, quant à eux, de visualiser la ­progression tumorale qu’après de nombreux mois, et il est alors souvent trop tard pour adapter le traitement. La biopsie liquide permet donc de faire un diagnostic d’évolution en temps réel, contrairement à la biopsie ou à la cytologie, qui ne reflètent qu’un instant précis [3].
Toutefois, un point faible de ce procédé réside dans la très forte variabilité (encore inexpliquée) des concentrations d’ADN tumoral entres les différentes entités et stades tumoraux. La quantité de cfDNA pouvant être mise en évidence dans le sang n’est pas la même pour toutes les affections tumorales malignes. Alors que du cfDNA est trouvé dans le sang pour quasiment tous les carcinomes avancés colorectaux, pulmonaires et ovariens, cela est nettement moins fréquent pour les carcinomes prostatiques, à cellules rénales et cérébraux. L’origine du cfDNA, sa stabilité et sa demi-vie sont également mal comprises [4].
La disponibilité relativement facile d’échantillons sanguins et la possibilité d’automatisation des procédés d’analyse moléculaire font de la biopsie liquide une approche intéressante dotée d’un grand potentiel pour l’avenir. Cependant, les quantités de cfDNA pouvant être obtenues à partir du plasma ou du sérum sont très faibles, de sorte que des méthodes d’analyse extrêmement sensibles ainsi que des stratégies d’amplification ou d’enrichissement sont nécessaires. Les technologies hautement sensibles requises pour les biopsies liquides ont tendance à présenter des dysfonctionnements et ne sont jusqu’à présent guère standardisées; par conséquent, leur usage (de qualité) dans le cadre du diagnostic de routine devrait pour l’instant être réservé aux centres spécialisés.
Dans la course au diagnostic sanguin, un nombre croissant de fournisseurs commerciaux font leur apparition sur le marché. Cette évolution doit être évaluée de façon critique, car l’interprétation d’une biopsie liquide présuppose une corrélation avec les mutations conductrices connues issues du diagnostic pathologique moléculaire tissulaire et avec le tableau histologique. La pathologie est dès lors prédestinée à proposer l’analyse de pathologie moléculaire sanguine en complément, car elle peut intégrer des approches diagnostiques différentes [5].

Discussion

Le potentiel de la biopsie liquide réside avant tout dans la mise en évidence précoce et non invasive de mutations de résistance contre les traitements ciblés, et à l’avenir peut-être aussi dans la surveillance de la charge tumorale. Dans les prochaines années, l’expérience de la pathologie en matière de biopsies liquides va augmenter rapidement, en raison de l’utilisation croissante de cette dernière dans le diagnostic routinier de pathologie moléculaire. Aujourd’hui, la biopsie liquide semble suffisamment sensible pour mettre en évidence des ­altérations génétiques en temps réel. Le spectre des possibilités diagnostiques supplémentaires est loin d’être épuisé. Les biopsies liquides pourraient également convenir pour le dépistage précoce des affections cancéreuses, et le dépistage sanguin ­précoce pourrait ainsi remplacer à long terme les ­méthodes de dépistage fastidieuses, éprouvantes et onéreuses, telles que la mammographie ou la coloscopie.
Il est judicieux que l’analyse du cfDNA et l’évaluation intégrée de tous les résultats, y compris les résultats histologiques, cytologiques et de génétique moléculaire, soient et restent entre les mains de la pathologie. Afin de garantir sur le long terme l’assurance qualité du diagnostic pathologique moléculaire, y compris de la biopsie liquide, en Suisse, il est non seulement nécessaire de disposer d’études cliniques prospectives avec un grand nombre de cas et d’établir un lien direct avec le diagnostic pathologique moléculaire tissulaire et les différents examens en vue d’une standardisation, mais il est aussi et surtout nécessaire de former de façon adéquate des pathologistes et biologistes moléculaires qualifiés.
LB a perçu des honoraires pour des «Advisory Boards» de la part d’AstraZeneca et de Roche. Les autres auteurs n’ont pas déclaré 
d’intérêts financiers ou personnels en lien avec cet article.
PD Dr méd. Kirsten D. Mertz
Institut für Pathologie Liestal
Kantonsspital Baselland
Mühlemattstrasse 11
CH-4410 Liestal
kirsten.mertz[at]ksbl.ch
1 Wan JC, Massie C, Garcia-Corbacho J, et al. Liquid biopsies come of age: towards implementation of circulating tumour DNA. Nat Rev Cancer. 2017;17:223–38.
2 Ilie M, Hofman P. Pros: Can tissue biopsy be replaced by liquid biopsy? Transl Lung Cancer Res. 2016;5:420–3.
3 Hofman P, Popper HH. Pathologists and liquid biopsies: to be or not to be? Virchows Arch. 2016;469:601–9.
4 Crowley E, Di Nicolantonio F, Loupakis F, Bardelli A. Liquid biopsy: monitoring cancer-genetics in the blood. Nat Rev Clin Oncol. 2013;10:472–84.
5 Dahl E, Jung A, Fassunke J, et al. Chances and risks of blood-based molecular pathological analysis of circulating tumor cells (CTC) and cell-free DNA (cfDNA) in personalized cancer therapy: positional paper from the study group on liquid biopsy of the working group for molecular pathology in the German Society of Pathology (DGP). Pathologe. 2015;36:92–7.