Ciment posé, pas d’anxiété – ciment pulmonaire, faut-il s’en faire?
Le nombre d’embolisations de colle biologique/ciment augmente

Ciment posé, pas d’anxiété – ciment pulmonaire, faut-il s’en faire?

Case Report
Issue
2017/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/cvm.2017.00480
Cardiovascular Medicine. 2017;20(05):132-135

Affiliations
Cardiologie, Orthopédie et Soins Intensifs, Hôpital & Université, Fribourg, Switzerland

Published on 17.05.2017

Le sang est le ciment de l’autel de la liberté (Benoît Gagnon). – Le ciment dans le sang est origine d’anxiété (les auteurs)

Introduction

La vertébroplastie et la cyphoplastie percutanée sont des traitements adéquats et reconnus pour la stabilisation des corps vertébraux en cas de fracture ostéoporotique ou d’envahissement tumoral. Ces techniques consistent à injecter 3–8 ml de résine sous contrôle radioscopique directement (vertébroplastie) ou après préparation au ballon de la vertèbre incriminée (cyphoplastie percutanée) [1]. Les résines les plus répandues sont constituées de méthacrylate de méthyle (MMA), un monomère du polyméthacrylate de méthyle, utilisé en cardiologie interventionnelle. Les ­embolisations de ciment sont fréquentes au niveau des veines pré- et paravertébrales. Les migrations vasculaires ne sont pas rares et mènent régulièrement à des embolisations pulmonaires [2, 3]. Au vu de l’absence de symptôme dans la vaste majorité des cas, l’incidence n’est par contre pas connue. Nous rapportons trois cas d’embolisation de ciment survenus au cours des 7 ­dernières années, dont les deux premiers dans notre institution.

Cas #1

Une patiente de 49 ans bénéficie d’une cyphoplastie T10 et d’une vertébroplastie L5 pour des fractures tassements symptomatiques survenues dans un contexte de lymphome T sous chimiothérapie. Durant l’intervention, une fuite de ciment est visualisée dans une veine péri-vertébrale et une embolisation pulmonaire est constatée sous scopie, sans instabilité hémodynamique. Après l’intervention orthopédique, la ­patiente est directement transférée en salle de cathétérisme cardiaque: l’embole est confirmé au niveau de l’artère pulmonaire inférieure droite et une extraction percutanée est tentée sans succès. Il n’y a pas d’hypertension pulmonaire secondaire à l’embolisation. La surveillance hémodynamique et échocardiographique est sans particularité. Les enzymes cardiaques (BNP/troponine hs) restent dans les limites de la norme.
La patiente est mise au bénéfice d’une anticoagulation orale empirique (Xarelto®) pour une durée de 12 mois. Les contrôles cliniques et échocardiographiques effectués à 6 et à 12 mois de l’embolisation sont dans les limites de la norme. Il n’y a pas de changement de taille de l’embole sur les 12 mois de suivi.
Figure 1: Cas #1. Panel A.  ECG après découverte de l’embolisation pulmonaire, Panels B, C, D. Embolisation 
de ciment dans l’artère pulmonaire droite visible à l’artériographie pulmonaire avant (B&C) et après (D) tentative d’extraction.

Cas #2

Une patiente de 66 ans avec BPCO Gold IV et oxygénothérapie bénéficie d’une troisième cyphoplastie (dernière cyphoplastie de D11 et D12, 2 mois auparavant) de L1 pour des fractures tassements symptomatiques sur ostéoporose. Durant l’intervention, une fuite de ­ciment est visualisée dans une veine péri-vertébrale gauche mais n’a pas de conséquence hémodynamique. Environ 5 heures après la fin de l’intervention, la patiente rapporte de vives douleurs latéro-thoraciques gauches associées à une exacerbation de sa dyspnée chronique, une désaturation (SatO2 84%), une hypotension artérielle (101/62 mm Hg) et une tachycardie sinusale (à 104 bpm). L’ECG est inchangé et la troponine-hs est à 30 ng/l (14 < zone grise < 50 ng/l). La radiogra-
phie du thorax montre des opacités dans les lobes supérieur et para-hilaire droits. Une échocardiographie démontre de plus un filament au travers de la valve tricuspide. Une coronarographie est effectuée en raison des douleurs thoraciques répondant aux nitrés et non explicables par les emboles de ciment intra-pulmonaires. Cet examen confirme l’embolisation pulmonaire et la présence d’un embole figé en transit au travers de la valve tricuspide. Le cathétérisme cardiaque droit montre une discrète hypertension artérielle pulmonaire (35 mm Hg, probablement chronique sur la BPCO connue). En l’absence de répercussion hémodynamique, un traitement conservateur est proposé et une sténose serrée de l’artère interventriculaire antérieure découverte fortuitement est traitée (2,75/12 mm-Xience Alpine, Abbott Vasc) après discussion avec la patiente. Une triple thérapie par aspirine, clopidogrel et anticoagulation orale est initiée pour un mois, suivi de 5 mois de double antiaggrégation plaquettaire. L’évolution échocardiographique et clinique est simple depuis lors.
Figure 2: Cas #2. Panel A. Echocardiographie transthoracique avec filament de ciment (flèches blanches creuses) de l’oreillette droite (RA) à la chambre de chasse droite (RVOT) au travers de la valve tricuspide (T). Panel B. Le même filament est visible 
pendant la dextrographie et des emboles périphériques sont visibles pendant l’artériographie pulmonaire (Panel C). 
 Panel D-F: La coronarographie démontre une sténose serrée de l’artère interventriculaire antérieure (flèche noire), qui est ­traitée en passant par la mise en place d’un stent actif (S) avec bon résultat final.

Cas #3

Un patient de 72 ans, connu pour une maladie coronarienne monotronculaire (IVA moyenne), une sténose aortique modérée et un syndrome myélodysplasique, bénéficie de 2 vertébroplasties lombaires (L4, puis L3) dans le courant de l’été 2016. A l’issue de ces interventions, il développe une dyspnée stade NYHA IV mise sur le compte d’une embolisation pulmonaire de ciment qui sera confirmée par un angio-CT. Une échocardiographie exclut une hypertension artérielle pulmonaire et démontre une embolisation intracardiaque. Au vu de la taille des emboles et de l’absence d’hypertension artérielle pulmonaire, une attitude conservatrice est décidée et le bilan est complété par un CT-cardiaque. Ce dernier examen révèle la présence de multiples spicules millimétriques (5 au niveau du ventricule droit et 1 au niveau de l’oreillette droite) et en périphérie des artères pulmonaires droites. Au vu de la taille et de la quantité de filaments chez un patient asymptomatique, l’attitude conservatrice est maintenue. Un suivi échocardiographique est effectué à 6 mois. L’évolution de la dyspnée est favorable, avec un stade NYHA II, 9 mois après l’embolisation.
Figure 3: Cas #3. Panel A . Echocardiographie transthoracique révèle un filament de ­ciment (flèches blanches creuses) attaché à l’oreillette droite. Panel B . Des emboles périphériques sont visibles sur la radiographie de thorax. Panel C. Un CT thoracique confirme l’image échocardiographie (en bas à droite), mais révèle plusieurs autres ­fragments non clairement visualisés à l’échocardiographie.

Discussion

La majorité des embolisations au niveau du cœur droit et de l’arbre pulmonaire peut être améliorée par des ­interventions percutanées; Lors de thromboembolie pulmonaire aiguë massive, une embolectomie pulmonaire avec fragmentation des caillots et/ou thrombolyse pulmonaire locale est souvent salvatrice. En cas d’embolisation de corps étrangers (Port-a-cath, occluders, etc.), l’extraction percutanée est généralement simple et efficace. Sur la base des trois cas décrits ci-dessus, l’embolisation de résine de scellage en cours de polymérisation semble ne pas répondre à cette règle. Au vu du vieillissement de la population et de la généralisation des colles biologiques à toutes les spécialisations chirurgicales, le nombre de ce type de complication risque de s’intensifier.
La grande majorité des emboles de ciment reste silencieuse [2] et l’incidence exacte n’est pas connue. Au vu du manque de conséquence thérapeutique, un screening par radiographie du thorax ou CT thoracique post-opératoire n’est pas justifié. Les emboles symptomatiques quant à eux sont rares. Nous estimons que l’incidence après vertébroplastie ou cyphoplastie est de 1% (2 cas/7 ans) dans notre institution. Le risque de migration précoce et tardive est actuellement en cours d’étude dans notre institution. De plus, l’incidence peut être plus élevée selon le type de chirurgie (par exemple lors d’endoprothèse vasculaire avec scellage).
Au vu de la difficulté d’extraction des colles une fois dans le compartiment vasculaire, la prévention des fuites de ciment est de la plus haute importance: contrôle de l’injection, limitation du volume de résine et utilisation d’un mélange le plus visqueux possible.
Pour la prise en charge des embolisations symptomatiques, Hatzantonis et collègues [4] ont proposé un algorithme. Brièvement, les patients symptomatiques doivent tous être rapidement évalués par une échocardiographie et un cathétérisme cardiaque. La majorité des patients est traitée de façon conservatrice. Tant que possible, une anticoagulation orale est débutée jusqu’à ce que le corps étranger s’épithélialise. La durée d’anticoagulation est variable et dépendante principalement de la surface de résine en contact avec le sang. Une durée de 6 mois est généralement considérée. Les patients présentant une complication ou à haut risque de complication (perforation, déchirure valvulaire) doivent être discutés avec un chirurgien cardiaque [5]. En cas de migration tardive, une tentative d’extraction percutanée peut être considérée [6]. Au vu du risque de complication mécanique tardive lors d’embolisation intracardiaque en transit, un suivi échocardiographique régulier est conseillé. De plus, comme le polyméthacrylate de méthyle a été incriminé dans les thromboses tardives liées aux réactions d’hypersensibilité du stent coronarien Cypher (Cordis – J&J), la tolérance vasculaire de ces emboles doit être évaluée sur le long terme.

Conclusion

Le nombre d’embolisations de colle biologique/ciment augmente parallèlement à la démocratisation de ce type d’intervention dans les spécialités chirurgicales. La prise en charge est guidée par la présence ou l’absence de répercussion symptomatique ou hémodynamique. Dans la majorité des cas décrits, une prise en charge conservatrice avec anticoagulation orale pour une durée de 6 mois et des contrôles échocardiographiques réguliers est justifiée.
No financial support and no other potential conflict of interest 
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Prof. Dr méd Stéphane Cook
Département de Cardiologie
Université & Hôpital
Fribourg
CH-1708 Fribourg
stephane.cook[at]unifr.ch
1 Röder C, Boszczyk B, Perler G, Aghayev E, Külling F, Maestretti G. Cement volume is the most important modifiable predictor for pain relief in BKP: results from SWISSspine, a nationwide registry. Eur Spine J. 2013;22(10):2241–8.
2 Martin DJ, Rad AE, Kallmes DF. Prevalence of extravertebral ­cement leakage after vertebroplasty: procedural documentation versus CT detection. Acta Radiol. 2012;53(5):569–72.
3 Chandra RV, Yoo AJ, Hirsch JA. Vertebral augmentation: update on safety, efficacy, cost effectiveness and increased survival? Pain Physician. 2013;16(4):309–20.
4 Hatzantonis C, Czyz M, Pyzik R, Boszczyk BM. Intracardiac bone cement embolism as a complication of vertebroplasty: management strategy. Eur Spine J. Epub. 2016.
5 Lee V, Patel R, Meier P, Lawrence D, Roberts N. Conservative management of inferior vena cava cement spike after percutaneous vertebroplasty causes fatal cardiac tamponade. J Rheumatol. 2014;41(1):141–2.
6 Kim SM, Min SK, Jae HJ, Min SI, Ha J, Kim SJ. Successful thrombolysis, angioplasty, and stenting of delayed thrombosis in the vena cava following percutaneous vertebroplasty with polymethylmethacrylate cement. J Vasc Surg. 2012;56(4):1119–23.