Enjeux déontologiques dans la PMA

Procréation médicalement assistée: respecter l’autonomie, avec quelles possibles restrictions ?

Zu guter Letzt
Édition
2018/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06419
Bull Med Suisses. 2018;99(08):06419

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 21.02.2018

Depuis la naissance de Louise Brown en 1978, les avancées rapides, parfois ébouriffantes, de la procréation médicalement assistée (PMA) n’ont cessé de soulever des questions éthiques. Des dérives n’ont pas manqué d’avoir des échos médiatiques: en novembre dernier, aux USA, Emma est née d’un embryon congelé en 1992, peu après la naissance de sa propre mère [1]! – ou quand des donneurs de sperme engendrent des dizaines ou centaines d’enfants [2]. Acceptable?
Dans un registre différent, à noter un rapport spécial du Hastings Center Report, sous le titre «Procréation juste», issu d’une conférence financée par la «Boger Initiative for the Wise Use of Emerging Technologies» (un objectif de valeur!). Dix contributions par onze auteurs dont dix femmes, bioéthiciennes, médecins et juristes [3].
Louise King explore la question de savoir si des cliniciens devraient suivre les requêtes avec lesquelles ils sont en désaccord, chercher à persuader les patientes de choisir une autre option ou simplement refuser. Dans le «Wild West of American reproductive medicine» (peu régulée), certains confrères estiment devoir adhérer à de telles demandes, parce que faire autrement limiterait de manière non éthique les options des femmes ou couples – relevant l’évolution des attitudes au cours du temps, par exemple sur l’accès de femmes seules à la PMA, longtemps refusé alors qu’il est souvent admis aujourd’hui.
Les thèmes actuels en débat incluent le choix du sexe par convenance – plutôt que pour raison médicale, les grossesses multiples qu’on cherche de plus en plus à éviter, la congélation d’ovules pour des raisons «sociales» (social egg freezing): par quoi des femmes jeunes, pour ne pas prétériter leur carrière, font conserver des ovules de bonne qualité en vue d’une PMA ultérieure. A noter que la American Society for Reproductive Medicine s’est exprimée en défaveur de cette option.
La pratique de la médecine ne peut pas être la simple fourniture d’un service, rappelle King. «Une raison pour cela est que nous sommes toujours confrontés à l’inadéquation des connaissances sur l’état de notre science. Dans ma pratique, je consacre beaucoup de temps à dire ce que je ne sais pas sur le résultat de l’opération.» «J’ai le plus grand respect pour mes patientes et cherche à faciliter leurs choix en toute indépendance [mais] c’est aussi mon devoir parfois de dire ‘C’est vraiment une mauvaise idée’ et de refuser.» On s’oriente beaucoup aujourd’hui vers la prise de décision partagée, mais cette (bonne) manière de faire n’implique pas de suivre des préférences irrationnelles. D’autres praticiens sous-estiment les risques, voire les taisent, sans considérer l’ensemble de ce que la démarche PMA signifiera pour la santé de la femme. 
Cela étant, où placer la limite, où est la ligne de démarcation pour arriver au bon équilibre (a complex balancing)? L’éthique du ‘care’ met l’accent sur la ­dimension sociale de décisions individuelles. «La liberté de choix et la responsabilité doivent être vues comme complémentaires et interdépendantes, la patiente comme le médecin assument une responsa­bilité. En matière de PMA et de génétique, il s’agit de prendre en considération, en plus de l’intérêt de la femme et du couple, celui de l’enfant potentiel et les ­effets possibles sur la société et sur les générations ­futures.»
Un autre article est de la plume de Ruth Deech, juriste académique qui a présidé la Human Fertilisation and Embryology Authority du Royaume-Uni (dont les travaux, dès le fameux Rapport Warnock de 1984, ont joué un rôle majeur): «Le respect absolu de l’autonomie n’existe pas et ne peut exister dans le domaine de la fertilité. La pratique correcte de la PMA implique plus qu’une personne ou un couple.» Elle ne croit pas par ailleurs que l’autonomie de la patiente est mieux servie dans un marché peu surveillé, dérégulé.
Ce qui précède vaut de façon générale en médecine – même si la PMA est une activité où des souhaits ­ardents d’un couple vont probablement plus souvent ­au-delà de ce qui est médicalement ou socialement défendable. Il ne s’agit pas de diminuer l’accent mis sur l’autonomie du patient, mais de rappeler qu’elle ne saurait forcer le praticien à des gestes contre-indiqués.
jean.martin[at]saez.ch
1 Profession supergéniteur. Marianne (Paris), 8–14.12.2017, 54–59.
2 Site L’Express.fr, 20.12.2017.
3 King LP, et al. (éd.). Just Reproduction – Reimagining Autonomy in Reproductive Medicine. Hastings Center Report. Special Report, Supplement to Vol. 47, No. 6, September–December 2017, 63 pages.